Barèmes prud’hommes : ils sont contraires à l’article 24 de la Charte sociale

Publié le 05/10/2022

Cette décision était attendue depuis plusieurs années. Elle vient enfin d’être rendue, puis publiée le 26 septembre 2022 : le Comité européen des droits sociaux (CEDS) déclare que le barème instauré par les ordonnances travail viole l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Qu’est-ce qu’une indemnisation adéquate au sens de l’article 24 de la Charte ?

Le CEDS commence tout d’abord par rappeler ce qu’il convient d’entendre par indemnisation adéquate. Il précise que le système d’indemnisation sera jugé comme étant conforme dès lors qu’il prévoit :

« - l’indemnisation de la perte financière encourue entre la date du licenciement et celle de la décision de l’organe de recours ;

- la possibilité de réintégration du salarié ;

- et/ou une indemnité d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et réparer le préjudice subi par la victime. »

Sur ce dernier point, elle précise que « Les indemnités en cas de licenciement abusif doivent être à la fois proportionnelles au préjudice subi par la victime et suffisamment dissuasives pour l’employeur ». Et ajoute qu’en cas de plafonnement des indemnités accordées en compensation du préjudice matériel :

  • la victime doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies juridiques ;
  • les juridictions compétentes pour accorder une indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi doivent se prononcer dans un délai raisonnable.

 

Le droit français au regard de l’article 24 de la Charte

Le Comité se livre ensuite à une lecture croisée du système français, avec les conditions rappelées ci-dessus. Voici les éléments principaux à retenir.

-En ce qui concerne la possibilité de réintégration du salarié 

Il constate que le système français est conforme à l’article 24 de la Charte dès lors qu’en cas de licenciement abusif, la réintégration est un mode de réparation possible.

-En ce qui concerne une indemnité d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et réparer le préjudice 

Le Comité rappelle que dans sa décision concernant l’État finlandais (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation n° 106/2014), il avait estimé que le plafond de 24 mois prévu par la législation finlandaise était insuffisant en ce qu’il ne permettait pas d’octroyer une indemnité adéquate au sens de l’article 24 de la Charte. Il note ensuite qu’en droit français, ce plafond est de 20 mois maximum pour une ancienneté de 29 ans et plus. Et relève que le barème est moins élevé pour les salariés ayant peu d’ancienneté et pour ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 11 salariés.

Dans cette dernière situation, il retient que « les montants minimums et maximums d’indemnisation auxquels ils peuvent prétendre sont faibles et parfois quasi identiques, de sorte que la fourchette d’indemnisation n’est pas assez large ».

Le CEDS souligne également que la « prévisibilité » résultant du barème pourrait constituer une incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés.

Il retient enfin sur ce point que le plafond du barème d’indemnisation ne permet pas de prévoir une indemnité plus élevée en fonction de la situation personnelle et individuelle du salarié.

 

En conclusion : des plafonds insuffisamment élevés à la fois pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur !

Après avoir balayé le droit français, et au regard de l’article 24 et des décisions déjà rendues par lui sur des sujets similaires, le Comité tranche dans en sens qui in fine ne surprend pas : « les plafonds prévus par l'article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l'employeur. 

Pour lui, « le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l'examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés ». Et d’ajouter que « le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l'affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé ».

Il en déduit in fine que « le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l'article 24.b de la Charte n'est pas garanti » et que le barème français viole l’article 24 de la Charte.

Et après cette décision, quel avenir pour les barèmes ?

Cette décision a de quoi réjouir la CFDT, qui s’est battue contre le barème devant le juge français . Bien que n'invalidant pas le principe,  elle considère que les plafonds d’aujourd’hui sont trop faibles pour permettre une indemnisation adéquate !

Mais cette décision'est pas une décision juridictionnelle : elle ne s’impose pas aux juges français.

L’État français peut-il pour autant ignorer cette décision et ne pas modifier ce système d’indemnisation du licenciement abusif ?

A priori non ! Il a ratifié la Charte et s’est par conséquent engagé à la respecter. La difficulté réside toutefois dans le fait que juridiquement, il n’existe pas de sanctions face à l’inaction de l’État... Pour faire évoluer le texte, c'est donc moins la « contrainte juridique » que la contrainte « politique » qui sera la voie de passage  :

le législateur français doit désormais se saisir de cette décision pour mettre notre droit en conformité avec les engagements européens de la France !

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