Discrimination : l'article 145 du CPC, un outil efficace pour l'établissement de la preuve

Publié le 11/10/2021

L’aménagement de la charge de la preuve dont bénéficie le salarié en matière de discrimination ne rend pas inutile la possibilité de demander en référé, avant tout procès au fond, des éléments détenus par la partie adverse sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (CPC). Les éléments demandés peuvent être nominatifs s’ils sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionné au but recherché.

C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt publié. Cass.soc.22.09.21, n°19-26.144.

Cette solution n’est certes pas nouvelle, mais elle a le mérite de rappeler aux défenseurs syndicaux, comme aux conseillers prud’hommes, qu’il est possible de recourir à l’article 145 du Code de Procédure civile (CPC) pour établir une discrimination - matière où la preuve s'avère ô combien difficile à apporter pour le salarié ! Lorsqu'il est utilisé à bon escient, l'article 145 du CPC est en effet un précieux outil pour l'aider à établir ce type de preuve.

Un salarié victime de discrimination saisit la justice pour constituer des preuves

Un salarié victime de discriminations, notamment syndicale, décide, avant d’entamer une procédure au fond, de saisir le conseil de prud’hommes en sa formation de référé afin de constituer des panels de comparants, ceci sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile. Plus précisément, il demande aux juges la communication par la société d’éléments précis et nominatifs dans le but de comparer sa situation avec celle de ses collègues.

Pour la cour d’appel, le fait qu’il existe dans le Code du travail (1) un aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination rend cette procédure prévue à l’article 145 du CPC... inutile ! De son point de vue, « la demande présentée par le salarié n’apparaît pas justifiée par un motif légitime ».

Le salarié décide donc de former un pourvoi en cassation. La question posée à la Cour de cassation est la suivante.

Le régime probatoire spécifique en matière de discrimination empêche-t-il de recourir à la procédure prévue à l’article 145 du Code de procédure civile ?

Mécanisme probatoire spécifique en matière de discrimination - Pour rappel, pour établir qu’il est victime de discrimination, le Code du travail permet au salarié de bénéficier d’un aménagement de la charge de la preuve en 3 étapes.

  1. Le salarié doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination.
  2. Au vu de ces éléments, l’employeur prouve que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
  3. Enfin, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, au besoin, toute mesure d’instruction qu’il estime utile.

Point sur l’article 145 du Code de procédure civile – De son côté, cet article prévoit que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Déjà en 2012, la Cour de cassation permettait au salarié se disant victime de discrimination de recourir à cette procédure spécifique pour obtenir des éléments de preuve (2).

L’application de l’article 145 du CPC est possible en matière de discrimination

Pour la Cour de cassation, le principe est clair : « la procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l’existence d’un mécanisme probatoire spécifique ».

D’autant que la cour d’appel avait constaté « que le juge du fond n’était pas encore saisi du procès, en vue duquel la mesure d’instruction était sollicitée » et que « la circonstance que le salarié agisse en vue d’une action au fond relative à une situation de discrimination ne privait pas d’intérêt sa demande ».

Les conditions étaient donc réunies pour mobiliser cette procédure du CPC. Autrement dit, ce n’est pas parce que le salarié envisage d’engager une action au fond lui permettant de bénéficier de l’aménagement spécifique de la preuve en matière de discrimination, qu’il ne peut pas, en amont, saisir le CPH en référé et demander la communication de certains éléments sur le fondement de l’art 145 du CPC.

La méthodologie à respecter en cas de saisine sur le fondement de l’article 145 du CPC

Certes le recours à l’article 145 du CPC est possible, mais il ne permet pas tout ! Faut-il encore que ce recours se justifie et ce, d’autant plus si les éléments demandés risquent de porter atteinte à la vie privée des salariés... Pour cela, les juges doivent suivre une méthodologie bien précise en cas de saisine sur le fondement de l’article 145 du CPC.

Ce que la cour d’appel n’a pas fait !

C’est au visa des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, de l’article 9 du Code civil et de l’article 9 et 145 du CPC que la Haute Cour rappelle, une nouvelle fois (3), les vérifications à effectuer d'office par les juges en cas de saisine sur le fondement de l’article 145 du CPC.

  • En premier lieu, les juges doivent « rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».
  • Puis, « si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés », les juges doivent vérifier « quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production des pièces sollicitées ».

C’est sans effectuer ces recherches que la cour d’appel, pour rejeter la demande de communication de pièces du salarié, a constaté que le panel fourni était assez large et les fiches communiquées par l’employeur suffisamment complètes pour permettre au salarié de procéder à la comparaison souhaitée.

Ce qui lui a valu de voir son arrêt cassé par la Cour de cassation, qui a renvoyé les parties devant une nouvelle cour d’appel.

En conclusion, les défenseurs syndicaux doivent se saisir de cette solution de la Cour de cassation et de l’article 145 quand ils sont en difficulté pour établir des éléments de preuve.

Les conseillers prud'homaux doivent quant à eux autoriser cette procédure spécifique dès lors que les conditions de mise en oeuvre sont respectées.

 

(1) Art. L.1134-1 C.trav.

(2) Cass.soc.19.12.12, n°10-20.526, Cass.soc.16.12.20, n°19-17.637 et cass.soc.16.03.21, 19-21.063.

(3) Cass.soc.19.12.12, n°10-20.526, Cass.soc.16.12.20, n°19-17.637 et cass.soc.16.03.21, 19-21.063.

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