Conseillers prud’hommes : vers une réforme a minima des effectifs

Publié le 27/01/2021

Le prochain renouvellement général au sein des conseils de prud’hommes aura lieu en 2023, mais il ne se fera pas sur la base de répartition des sièges entre sections et CPH telle que nous la connaissons aujourd’hui. Début mars 2021, un projet de réforme de la répartition des effectifs de CPH -actuellement en cours de finalisation - sera en effet soumis à l’avis du Conseil supérieur de la prud’homie. Une évolution ambitieuse, voilà ce qui avait été envisagé il y a maintenant un peu plus d’1 an et demi. Mais la volonté (pour ne pas dire le courage) politique ayant finalement manqué, ce sera seulement une réforme a minima qui sera appelée à s’appliquer. Voilà ce que les partenaires sociaux ont appris le 25 janvier 2021 au cours d’une réunion organisée à la Chancellerie.

26 juin 2019, ministère de la Justice. C’est à cette date et en ce lieu qu’un groupe de travail constitué au sein du Conseil supérieur de la prud’homie (CSP) se réunit pour la première fois dans le but de préparer une réforme des effectifs des conseillers prud’hommes. Côté CFDT, l’espoir et l’enthousiasme sont au rendez-vous : parvenir à faire changer les choses parait en effet être un objectif atteignable ! Et ce pour une simple et bonne raison : l’ensemble des parties prenantes -organisations syndicales, organisations professionnelles et ministère de la Justice - partagent le même diagnostic : la répartition des effectifs de conseillers prud’hommes entre les différentes sections et les différents conseils de prud’hommes n’est pas satisfaisante.

Certains conseillers prud’hommes sont au bord du burn out tandis que d’autres siègent très peu (voire parfois pas du tout). Déséquilibre inacceptable pour les CPH bien sûr, mais aussi -et surtout- pour les justiciables. Comment en effet leur garantir le rendu d’une bonne justice lorsque la suractivité de la section du conseil de prud’hommes dont ils dépendent les conduit à attendre un temps infini le passage de leur dossier devant un bureau de jugement… ou lorsqu’au contraire, sa sous-activité induit que leur affaire soit entendue par des CPH manquant de pratique et de technicité ?

Cadrage des travaux et positionnement CFDT 

Le sujet était d’importance. La CFDT s’est donc conséquemment investie. Nous avons participé activement à la première séance de travail du 26 juin 2019 ainsi qu’à toutes celles qui ont suivi. Au total, il y en a eu 8.

- D’emblée, nous avons appelé à une révision du périmètre des sections qui composent les conseils de prud’hommes. A bien y regarder, il apparaît en effet que les sections prud’homales sont en décalage avec ce qu’est l’activité économique dans la France du XXIè siècle. Les sections interprofessionnelles (activités diverses et encadrement) traitent désormais de la moitié des contentieux, tandis que l’une des sections spécialisée (l’agriculture) est quasiment à l’arrêt et qu’une autre (l’industrie) est en constante perte de vitesse. Mais cette proposition, jugée trop complexe à mener dans un temps contraint, n’a finalement pas été retenue par l’administration.

- Aussi, et puisqu’il fallait (faute de mieux) partir des sections existantes, nous avons insisté pour qu’advienne une réforme à effectifs constants visant à réaffecter les sièges des sections à pourvoir de conseils de prud’hommes où le taux d’activité constaté des CPH était faible vers des sections de conseils de prud’hommes où le taux d’activité constaté des conseillers  était trop élevé. Ce tout en respectant -et si possible en améliorant- le niveau de composition minimal d’une section pour que celle-ci puisse tourner(1).

Pour ce faire, nous avons travaillé à partir de différents indicateurs, en particulier ceux portant sur les activités « concernant les affaires nouvelles et terminées ainsi que leur répartition par section » (entre 2014 et 2018) et de ceux (sociaux et économiques) de l’Insee.

 

Soulagement des sections en surchauffe et détermination d’un taux minimal d’activité

Pour les sections en surchauffe, il a rapidement été convenu que les effectifs de conseillers  y étant affectés devaient être augmentés dès lors qu’un taux d’activité d’au moins 15 affaires par conseiller et par an est atteint. A l’autre bout de la chaîne, un seuil minimal d’activité par conseiller prud’homme a été mis sur pied. Sur ce dernier point, l’ensemble des représentants des organisations syndicales et des organisations professionnelles ont fini par s’entendre sur un niveau de « 5 affaires par conseiller, soit en réalité une participation à 20 affaires par an en bureau de jugement de droit commun ».

Restait à savoir comment y parvenir. Plusieurs pistes ont alors été évoquées. Entre autres, une plus grande mobilité des conseillers d’une section à une autre, la création de sections interprofessionnelles au sein de certains conseils de prud’hommes ayant une faible activité, le regroupement de certaines sections agriculture et encadrement, ou bien encore le transfert de l’activité de 23 conseils de prud’hommes en sous-activité vers le conseil de prud’hommes « du même arrondissement judiciaire ».

La Chancellerie s’est opposée à la perspective d’une plus grande mobilité des conseillers prud’hommes d’une section à une autre au motif que cela serait de nature à nier l’identité même des sections. 

Nous avons  émis de forte réserves quant au possible avènement d’une section interprofessionnelle au sein de certains conseils de prud’hommes. Avènement qui, disons-le, aurait été bien plus attentatoire encore à l’identité des sections. Mais nous nous sommes aussi fortement opposés au transfert d’activité d’un conseil de prud’hommes à un autre ; une telle solution ne pouvant que générer des fermetures de juridictions. Nous n’aurions alors plus été dans le cadre d’une réforme des effectifs de conseillers prud’hommes, mais dans celui d’une réforme de la carte judiciaire.

Après de nombreux échanges et de vifs débats, c’est finalement l’option d’une réforme à effectif constant et d’une répartition revue et corrigée des effectifs entre les conseils de prud’hommes et leurs sections associée à un rapprochement de certaines sections agriculture et encadrement qui a été retenue. Nous étions alors le 20 décembre 2019.

Conscients du caractère particulièrement délicat de l’opération de rapprochement entre sections, nous avons dès le début du mois de janvier 2020, travaillé en lien étroit avec nos unions régionales interprofessionnelles (Uri) afin que chaque projet de rapprochement puisse être analysé et pour que leur faisabilité puisse être localement appréciée (au regard du taux d’activité bien sûr, mais aussi  de bien d’autres critères, comme le bassin d’emplois, les évolutions prévisibles de l’activité, les dessertes routières et les distances à parcourir pour le justiciable). Le recueil des spécificités locales susceptibles de générer (ou non) notre approbation de tel ou tel rapprochement a permis l’élaboration de deux documents de synthèse qui ont pu être discutés en janvier/février 2020 en groupe de travail.

Le 12 mars 2020, le groupe de travail a enfin rendu ses conclusions, les chefs de cour devant dans la foulée être eux-mêmes concertés.

Pourquoi des rapprochements de sections ont parfois été envisagés ?  
En groupe de travail, le constat a pu être fait d’une faible activité (voire parfois d’une très faible activité ou d’une activité nulle) de certaines sections : encadrement et – surtout - agriculture. En rapprochant certaines d’entre-elles, la Chancellerie comptait augmenter le nombre de dossiers à traiter par conseiller prud’hommes. Ce qui ne pouvait qu’être de nature à rehausser leur taux d’activité et les faire gagner en pratique et en technicité. Avec un écueil toutefois : celui d’éloigner un peu plus les justiciables des conseils de prud’hommes (tout au moins pour les procédures au fond).   

 

Covid-19, confinements, consultations et conséquences

Quelques jours plus tard, survint la paralysie du pays et accessoirement celle des conseils de prud’hommes. Le dossier de la réforme des effectifs de conseillers prud’hommes est tombé dans les oubliettes ainsi que la consultation des chefs de cour.

Le dossier ne ré-émergera finalement qu’à la toute fin de l’année 2020. Les chefs de cour ont alors enfin été consultés et avec eux, les avocats.  

Et c’est précisément cette dernière consultation qui fera basculer le cours des choses. Dénonçant « un projet de réforme initié en pleine crise sanitaire » - alors même qu’il avait été à l’inverse stoppé par la crise -, le Conseil national des barreaux a rendu un avis négatif au motif d’un éloignement du justiciable des lieux de justice et d’une crainte de fermeture à venir de conseils de prud’hommes.

Le 7 janvier 2021, le garde des Sceaux - sans prendre le soin d’en avertir les organisations ayant participé au groupe de travail – a adressé au Conseil national des barreaux un courrier précisant qu’il n’y aurait finalement aucun rapprochement de sections.  

Occasion manquée 

1 an et demi de travail… pour friser le statu quo ! Certains visiblement s’en réjouissent ; pas la CFDT ! Non pas que la technique du rapprochement de sections à faible activité (et l’éloignement qu’il induit pour certains justiciables) soit pour nous l’alpha et l’omega d’une réforme réussie des effectifs de conseillers prud’hommes - nous avions d’ailleurs nous-mêmes mis sur la table d’autres pistes d’évolution. Mais le fait est que l’absence de solution portée à une difficulté majeure ne doit jamais être vue comme une issue acceptable.

Pour certains, il s’agit là d’un recul du Gouvernement, et donc d’une victoire. A notre sens, c’est là une erreur de perception. Et s’il devait s’agir d’une victoire, ce ne serait de toute manière qu’une victoire à la Pyrrhus… jusqu’aux prochains constats de dysfonctionnements de l’institution prud’homale et jusqu’aux prochaines réformes qui suivront.

Quoiqu’il en soit, et pour conclure sur une tonalité plus positive, il est tout de même à noter que le groupe de travail n’aura pas (tout à fait) travaillé pour rien, puisque c’est en se basant sur ses conclusions que des perspectives de rééquilibrage pour le prochain renouvellement de 2023 ont été de nouveau élaborées par la Chancellerie… mais en excluant désormais tout rapprochement entre sections agriculture et encadrement.

Au final, cela débouchera tout de même sur une meilleure répartition des conseillers prud’hommes entre les  sections des différents conseils de prud’hommes, et donc sur un meilleur service rendu au justiciable (c’est déjà ça !)

Mais il est clair que le maintien partout et à tout prix de toute les sections - y compris de certaines d’entre-elles dont l’activité est nulle ou quasi-nulle - associé à l’absence de mise en œuvre de toute autre solution alternative aura aussi pour effet de sensiblement réduire l’efficacité de la réforme à venir. Ainsi certaines sections continueront-elles à mobiliser 6 CPH, qui n’auront à traiter qu’entre 0 et 3 dossiers à l’année. Jusqu’à quand ?

Au vu d’un tel constat, on peut comprendre pourquoi la CFDT a parlé, le 25 janvier dernier à la Chancellerie, d’une occasion manquée.

 

Et maintenant ?

Et cette occasion manquée, nous la déplorons, ainsi que le temps perdu d’ailleurs… Ce que nous déplorons plus encore, c’est le peu de cas que le garde des Sceaux semble faire du dialogue social. Mais la CFDT ne baisse pas les bras pour autant ! Aussi continue-t-elle à se mobiliser sur le dossier. Et ce dans deux temporalités différentes.

- Dans l’immédiat, nous prenons acte du nouveau projet que la Chancellerie vient de nous remettre et nous nous tournerons vers nos Uri pour vérifier que les répartitions proposées conviennent ou, à défaut, de pouvoir faire remonter nos contre-propositions. Le décret à venir (2) sera ainsi le plus équilibré et le plus acceptable possible.

- A l’avenir, nous remettrons ce sujet sur le tapis dans l’idée de parvenir à une redéfinition du périmètre des sections prud’homales. La Chancellerie nous avait précisé en 2019 qu’une telle réflexion ne pouvait être menée en groupe de travail car elle nécessitait un temps long. Et bien, nous la prenons au mot ! Car nous sommes désormais sur du temps long, et la conclusion de la dernière séance du groupe de travail du 25 janvier 2021 ouvre la perspective d’une telle réflexion : « Les propositions du groupe de travail concernant la mise en œuvre de regroupements de section pourront très probablement être réexaminées ainsi que toute autre solution dans le cadre du renouvellement général pour la mandature 2026-2029 ».

Rendez-vous est d’ores et déjà pris ! Et la CFDT y sera.

 

 

(1) Art. R.1423-1 in fine C.trav. : “ Chaque section comprend au moins trois conseillers employeurs et trois conseillers salariés”.

(2) Art. L.1423-2 C.trav. : « Un décret fixe, pour chaque conseil de prud'hommes, le nombre de conseillers à nommer par collège dans les différentes sections ».