Défenseurs syndicaux = « des avocats », ou presque !

Publié le 25/01/2023

Le défenseur syndical n’est certes pas un professionnel du droit, mais sa qualité  offre au plaideur des garanties telles qu’il se doit de respecter, tout comme un avocat, la procédure civile à hauteur d’appel.

En outre, peu importe que le défenseur syndical n’ait pas accès au réseau privé virtuel des avocats (RPVA) (1), il dispose d’autres moyens lui permettant de ne pas être lésé par rapport à un avocat.

C’est ce que juge la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le même jour. Cass.civ.2., 08.12.2022, n°21-16.186 et n°21-16.487.

Un défenseur syndical n’est certes pas un professionnel du droit…

Dans cette affaire, une salariée représentée par un défenseur syndical décide de faire appel du jugement du conseil de prud’hommes qui l’a déboutée de ses demandes dans le cadre d’un litige l’opposant à son employeur. Seulement, le défenseur syndical (= l’appelant) a omis d’indiquer les chefs critiqués du jugement dans la déclaration d’appel. Or, il s’agit d’une mention obligatoire à indiquer dans cette déclaration, sous peine de nullité.

Du fait de ce manquement, la partie adverse (= l’intimé) a relevé l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel. Ce que reconnaît la cour d’appel.

La déclaration d’appel est un acte de procédure permettant de remettre en question le jugement de première instance. Des mentions dans l’acte sont obligatoires, sous peine de nullité. En cas de déclaration incomplète et non régularisée, il y a alors absence d’effet dévolutif de la déclaration, ce qui veut dire que la cour d’appel n’est pas saisie et le jugement de première instance est définitif.

Pour l’appelant, appliquer les règles de l’effet dévolutif à un non professionnel (= un défenseur) porte atteinte à la substance du droit d’accès au juge au sens de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). En outre, il considère que l’invocation par l’intimé de l’absence d’effet d’évolutif est intervenue après le délai imparti à l’appelant pour conclure et l’empêchait donc de régulariser la déclaration d’appel.

C’est pourquoi un pourvoi en cassation est formé.

… mais il doit respecter les règles de procédure au même titre qu’un avocat

La Cour de cassation indique que les règles de la procédure civile applicables à hauteur d’appel (du fait que la représentation est obligatoire) doivent s’appliquer pour un défenseur syndical au même titre que pour un avocat (2) « sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge garanti par l’article 6§1 de la CSDHLF».

Pour la Haute Cour, le défenseur ne peut donc échapper aux règles de procédure au motif qu’il n’est pas un professionnel du droit. Elle le justifie en rappelant dans sa décision que le défenseur offre au justiciable des garanties équivalentes à celle du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l’équilibre des droits des parties.

Le défenseur doit (3) :

  • être sélectionné selon son expérience des relations professionnelles et ses connaissances du droit social (4) ;
  • se former ( la Haute Cour va jusqu’à parler d’obligation) (5) ;
  • exercer sa mission, car s’il ne le fait pas pendant une durée d’1 an, il est radié d’office (6).

Peu importe que l’invocation de l’absence d’effet dévolutif soit tardive

Le défenseur (= l’appelant) critique également le fait qu’il ne pouvait plus régulariser la déclaration d’appel lorsque la partie adverse (= l’intimé) a souligné ce manquement à la procédure civile. En effet, l’intimé l’a fait après le délai imparti permettant à l’appelant de régulariser la déclaration d’appel. Pour la Cour de cassation, cette possibilité offerte au défenseur n’oblige en rien la partie adverse à soulever le manquement avant le délai imparti à l’appelant pour conclure. La Cour de cassation rappelle qu’aucun texte ne le prévoit. Elle ajoute que « cette règle ne prive pas l’appelant du droit d’accès au juge dès lors qu’il pouvait le faire indépendamment de tout incident soulevé par l’intimé ».

Avis CFDT : cet arrêt met en lumière la complexité des règles de procédure civile que le défenseur syndical doit respecter à hauteur d’appel.  Pour la Haute Cour, la possibilité offerte au défenseur syndical de représenter le salarié à hauteur d’appel l’oblige, en contrepartie, à respecter les mêmes règles que celles applicables aux avocats.

Il est donc indispensable que le défenseur syndical se forme et ce tout au long de son mandat, et qu’il se tienne à jour de la procédure civile. Celle-ci n’est pas toujours bien connue par les défenseurs et, surtout, elle évolue constamment...

Le défenseur qui n’a pas accès au RPVA n’est pas désavantagé pour autant

 Un autre arrêt de la Cour de cassation rendu le même jour va dans le même sens.

Dans cette affaire, le défenseur syndical a vu sa déclaration d’appel jugée caduque par la cour d’appel, au motif qu’il n’a pas remis les conclusions au greffe et qu’il ne prouve ni d’un envoi postal, ni d’un cas de force majeure qui aurait pu l’exonérer de cette obligation.

 

La déclaration d’appel est déclarée d’office caduque si les conclusions n’ont pas été remises à temps au greffe (7). En 2017, pour répondre à la difficulté que pouvaient rencontrer certains défenseurs à se rendre « physiquement » à la cour d’appel, il a été ajouté la possibilité pour le défenseur syndical de transmettre les actes de procédure par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (8).
En outre, la Cour de cassation a reconnu qu’il n’est pas nécessaire pour le défenseur de se déplacer en personne à la cour d’appel : il lui suffit de mandater une personne pour remettre les actes de procédure en son nom.

 

Le salarié se plaignait alors que la personne qui le représentait, le défenseur syndical, ne pouvait utiliser le RPVA (9) pour communiquer rapidement les actes de procédure, comme le font les avocats. Cela violait le « principe d’égalité des armes » entre défenseurs et avocats. Ce principe, qui résulte du droit à un procès équitable, interdit en effet qu’une partie au procès soit placée dans une situation plus avantageuse que la situation occupée par son adversaire.

Le salarié décide donc de former un pourvoi. La Cour de cassation ne va pas suivre le raisonnement du salarié…

Elle cite tout d’abord la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (10) « le principe de l'égalité des armes est l'un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il exige un juste équilibre entre les parties, chacune d'elles devant se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires ».

Puis elle en déduit que le plaideur n’est en rien désavantagé, puisque le défenseur syndical dispose de moyens compensant l’absence d’accès à la dématérialisation offerte par le RPVA. Le défenseur peut en effet remettre directement les actes de procédure au greffe, ou encore les envoyer en RAR. Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a donc eu raison de juger que les moyens, faciles et peu onéreux, pour pallier le manque d’accès à la dématérialisation justifiaient l’absence d’un avantage donné à l’avocat (11).

Avis CFDT. La position prise par la Cour de cassation peut bien entendu se comprendre. Il n’en reste pas moins que les moyens de communication dont dispose le défenseur syndical sont d’une moindre portée que le RPVA. Permettre de remettre les actes de procédure au greffe ou en LRAR ne saurait en effet compenser la rapidité de transmission inhérente à un système dématérialisé.
L’inégalité sur ce point est donc patente, et à de nombreuses reprises, la CFDT l’a dénoncée en Conseil supérieur de la prud’homie (CSP). S’il est facile de s’entendre sur le contrat, trouver des solutions s’avère bien plus compliqué... Il parait en effet tout autant inenvisageable d’empêcher les avocats d’user du RPVA lorsque l’une des parties est défendue par un défenseur syndical que de permettre au défenseur syndical d’y avoir accès. Car disons-le : le fait que ce soit un outil dont l’usage est réservé aux avocats semble rendre bien compliquée son ouverture à d’autres usagers…

 

(1) Le RPVA est le réseau informatique sécurisé de la profession d’avocat en France. Il sert à favoriser les communications électroniques des avocats, notamment dans le cadre de la dématérialisation des procédures, avec les juridictions judiciaires, elles-mêmes reliées entre elles dans le cadre du réseau privé virtuel justice (RPVJ).

(2) Art. R.1461-2 alinéa 3 C.trav.

(3)  Articles D. 1453-2-1, L. 1453-7 et D.1453-2-5 alinéa 3 C.trav.

(4) Art. L.1453-4, al.2 et D.1453-2-1 C.trav.

(5)  Art. L.1453-7 C.trav.

(6) Art. D.1453-2-5, al.3 C.trav

(7) Art. 908 CPC.

(8) Art.930-2 CPC.

(9) Art.930-1 CPC.

(10) CEDH, 24.04.03, N°44962/98.

(11) Art. 930-2 CPC.

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