APC : l’accord ne peut avoir pour objet ou pour effet de supprimer des emplois

Publié le 18/04/2023

C’est un bel et riche arrêt qu’a rendu récemment la cour d’appel de Nancy, un des premiers traitant de la validité d’un accord de performance collective (APC). Plusieurs questions intéressantes étaient posées par le syndicat CFDT de la métallurgie du Bas-Rhin, en particulier quant aux règles de négociation de ces accords dans les entreprises de moins de 50 salariés. Toutefois, ce qui retient le plus l’attention -et mérite d’être salué- c’est l’affirmation des juges selon laquelle un APC ne peut conduire à supprimer des emplois. CA Nancy, 6 février 2023, n°21/03031.

Des salariés ayant refusé l’application d’un accord de performance collective sont licenciés sur ce motif…

Une société, placée en redressement judiciaire, a mis en œuvre un plan de licenciements collectifs pour motif économique, puis, dans la foulée, a négocié et signé un APC pour regrouper deux sites en un site unique. L’accord prévoyait à ce titre la prise en charge de frais de déplacement et de déménagement des salariés impactés par la mobilité géographique résultant de ce regroupement.

 3 des 4 salariés concernés ont refusé l’application de l’APC à leur situation et la société a procédé à leur licenciement sur ce motif spécifique.

Ces salariés et le syndicat CFDT Métallurgie du Bas-Rhin ont saisi le tribunal judiciaire pour demander l’annulation de l’APC. Leur demande ayant été rejeté, ils ont interjeté appel de sa décision.

En application de l’article L.2254-2 du Code du travail, un APC peut contenir des mesures de mobilité géographique. Les stipulations de l’accord se substituent alors de plein droit aux clauses contraires des contrats de travail et les salariés en refusant l’application à leurs contrats de travail peuvent être licenciés sur ce motif spécifique.

Un accord de performance collective peut être négocié dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, à certaines conditions…

L’entreprise ayant alors moins de 50 salariés, il n’y avait pas de délégué syndical et l’APC a été négocié entre l’employeur et deux membres du CSE.

La première question soumise aux juges était donc celle de la possibilité, ou non, de conclure un APC en l’absence de délégué syndical. Rappelons en effet que, si le Code du travail n'a pas expressément exclu cette possibilité, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision de 2018 sur la loi de ratification des ordonnances (1), relevé qu’un tel accord devait être signé par des organisations syndicales représentatives (soit à la majorité de 50%, soit ayant recueilli entre 30 et 50% avec une validation par référendum auprès des salariés).

Toutefois, la cour d’appel considère que le Code du travail ne contient aucune disposition « excluant la conclusion de tels accords dans certaines entreprises, notamment au regard du seuil de leur effectif » et que le Conseil constitutionnel « n’a porté aucune appréciation sur la situation spécifique des accords conclus dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 10 et 50 salariés, par un ou des membres titulaires du CSE ».

Le syndicat n’ayant pas posé de question prioritaire de constitutionnalité et le tribunal s’étant estimé incompétent pour apprécier la constitutionnalité d’un accord ainsi conclu, il a considéré qu’un tel accord pouvait être conclu avec un ou des membres du CSE.

L’article L.2232-23-1 du Code du travail prévoit la possibilité de négocier des accords avec des salariés mandatés ou des membres du CSE, dans les entreprises entre 11 et 50 salariés dépourvues de délégué syndical. Les accords ainsi négociés peuvent porter sur « toutes les mesures qui peuvent être négociées par accord d’entreprise ou d’établissement ».

A ce titre, les juges considèrent néanmoins qu'"au regard des enjeux considérables s'agissant des salariés", la négociation d’un tel accord doit être appréciée en s’assurant du respect scrupuleux des règles de négociation définies par le Code du travail, en particulier à l’article L.2232-29 qui prévoit notamment la conclusion d’un accord de méthode et la concertation avec les salariés.Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, l’article L.2232-19 du Code du travail prévoit que la négociation avec les membres de la délégation du personnel ou avec des salariés mandatés doit se dérouler dans le respect des principes suivants : indépendance des négociateurs, élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs, concertation avec les salariés, faculté de prendre attache avec les organisations syndicales représentatives dans la branche.

En l’espèce, l’absence de consultation des salariés n’était pas contestée et les juges en ont donc conclu que « l’absence de la phase indispensable de concertation avec les salariés entache la régularité » de la conclusion de l’accord. La cour d’appel considère en effet qu’il appartient à l’employeur de procéder lui-même à cette consultation ou de s’assurer que les négociateurs y ont bien procédé.

Les conditions de négociation de l’accord ont donc entaché sa régularité. Mais ce n’est pas tout…les juges estiment que la mise en œuvre de l’accord révèle une autre irrégularité conduisant à le déclarer nul.

L’accord ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de supprimer des emplois

Le syndicat et les salariés contestaient également la validité de l’accord pour deux raisons de fond.

D’une part parce qu’il prévoyait la fermeture d’un site, ce que le Questions/Réponses du ministère semblait exclure. D’autre part parce que l’accord avait abouti à une compression d’effectifs, l’un des salariés licenciés n’ayant jamais été remplacé.

-Concernant la possibilité pour un APC de fermer un site, la cour d’appel relève que le Code du travail ne contient pas d’interdiction à ce sujet. Au contraire, pour les juges, le Code autorisant à un conclure de tels accords pour une durée indéterminée, ceux-ci pouvaient prévoir des mesures irréversibles, notamment de mobilité géographique. La fermeture d’un site pouvait très bien en faire partie.

Les juges s’affranchissent donc ici clairement de la solution préconisée par le Q/R du ministère.La CFDT demande l’interdiction des APC à durée indéterminée dans le Code du travail, ce qui permettrait notamment – et plus efficacement que par le biais d’un Q/R- d’exclure les accords contenant des mesures irréversibles, comme la fermeture d’un site !

Toutefois, la cour d’appel donne gain de cause aux salariés et au syndicat concernant l’impossibilité pour un APC de supprimer des emplois. Les juges considèrent en effet que :

« un accord de performance collective ne peut avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes ».

En conséquence, il convient que « l’employeur qui, seul dispose des éléments probatoires, justifie du remplacement par de nouveaux salariés de l’ensemble des salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail ».

Ce que l’employeur n’a pas fait en l’espèce et raison pour laquelle, l’accord est déclaré nul.

Si la solution ne manque pas d’une certaine audace, elle nous paraît conforme à l'esprit des textes et pour la CFDT, elle mérite d’être saluée. Les APC, s’ils peuvent permettre de répondre à des difficultés temporaires, ne doivent pas permettre de contourner le droit du licenciement pour motif économique.

(1)Décision n°2018-761 du 21 mars 2018, considérant 24 à 29.

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