Salarié inapte : interdiction de le licencier pour un autre motif !

Publié le 01/03/2023

Une fois le salarié déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur est tenu d’appliquer le régime du licenciement pour inaptitude. Il ne peut plus prononcer le licenciement pour un autre motif, même s'il a antérieurement engagé une procédure de licenciement pour une cause différente. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt récent, publié au Bulletin. Explications sur ce revirement de jurisprudence…Cass.soc. 08.02.2023, n° 21-16.258.

Une déclaration d'inaptitude et un licenciement pour faute lourde

Un salarié, placé en arrêt de travail depuis le 21 octobre 2016, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 24 janvier 2017. L’entretien était fixé au 7 février 2017.

Or, à l'issue de la visite de reprise du salarié, le 6 février 2017, le médecin du travail l’a déclaré inapte à son poste, précisant que son reclassement au sein de l'entreprise ou du groupe n'était pas envisageable.

Poursuivant la procédure engagée le mois précédent, la société a licencié le salarié pour faute lourde, par lettre du 16 février 2017. Le salarié a alors saisi la juridiction prud'homale pour contester son licenciement.

Selon lui, un licenciement pour faute ne pouvait pas être prononcé postérieurement à l'avis d'inaptitude définitive délivré par le médecin.

 

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur ne peut rompre son contrat que dans trois cas, s’il justifie :
- soit de son impossibilité de proposer un emploi approprié à ses capacités au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe ;
- soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions ;
- soit de la mention expresse, dans l'avis du médecin du travail, que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi(1).

Les juges du fond l’ont débouté de ses demandes, considérant que la rupture de son contrat de travail était bien fondée sur une faute lourde. Selon eux : « la circonstance que l'inaptitude définitive du salarié à occuper son emploi ait été constatée par le médecin du travail le 6 février 2017, ne privait pas la société de se prévaloir d'une faute lourde de son salarié au soutien du licenciement qu'elle a estimé devoir prononcer à l'issue de la procédure disciplinaire qu'elle avait initiée le 24 janvier précédent ».

C’est ainsi que le salarié s’est pourvu en cassation.

L’inaptitude fait obstacle au licenciement pour tout autre motif

La chambre sociale casse l’arrêt d’appel. Elle affirme que les articles L. 1226-2 et L.1226-2-1 du Code du travail, qui prévoient la procédure de reclassement et de licenciement pour inaptitude sont d’ordre public (2). À ce titre, elles « font obstacle à ce que l'employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude, peu important que l'employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause ». En d’autres termes, dès lors que le salarié avait été déclaré inapte, il ne pouvait plus être licencié pour un motif autre que l'inaptitude, et ce, même si la procédure disciplinaire avait été initiée avant !

 

Cette position de la Cour de cassation est assez surprenante, d’autant qu’en l’espèce, l'employeur avait engagé la procédure disciplinaire avant la décision du médecin du Travail. Mais surtout, dans un arrêt relativement récent rendu en 2021(3), la Cour de cassation avait censuré une cour d’appel pour avoir adopté le même raisonnement : cette dernière avait considéré qu’un employeur ne pouvait plus licencier pour motif économique un salarié déclaré inapte, la législation relative au licenciement pour inaptitude étant d'ordre public.

Moins de 2 ans plus tard, la Haute juridiction rend une décision opposée, cette fois-ci dans un contexte de licenciement pour motif personnel. Il s’agit selon toute vraissemblance d’un revirement de jurisprudence...

Pourquoi faire prévaloir la procédure de licenciement pour inaptitude sur d’autres modes de rupture ? Selon nous, cela présente plusieurs intérêts.

-D’une part, cette procédure est plus protectrice pour le salarié que la procédure disciplinaire. En effet, la déclaration d’inaptitude déclenche en principe une obligation de reclassement pour l’employeur. En pratique, l'employeur a 1 mois pour reclasser le salarié, si cela est possible, ou pour le licencier, dans le cas contraire, car passé ce délai, il doit reprendre le versement des salaires (4).

-D’autre part, cela présente l’avantage d’empêcher le contournement de ces règles par les employeurs qui pourraient être tentés de vouloir se soustraire aux obligations liées à l’inaptitude du salarié.

En tout état de cause, cette solution dégagée par la Cour de cassation est favorable au salarié inapte qui se trouve en situation de vulnérabilité, ce que nous saluons. 


(1) art. L.1226-2-1 et L.1226-12 C.trav.

(2) En matière d’ATMP, se référer aux articles L.1226-10 et suivants du Code du travail.  

(3) Cass.soc. 15.09.21, n°19-19.563. Voir également Cass.soc. 26.10.22, n°20-17.501.

(4) Art. L.1226-2 et s. ; art. L.1226-10 et s. C.trav.

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