Salariés étrangers : perdre son autorisation de travail n’est pas fautif !

Publié le 07/12/2022

Pour pouvoir accéder au marché de l'emploi, le salarié étranger doit être en mesure de justifier d'un titre de séjour valable l'autorisant à travailler. Mais que se passe-t-il lorsqu’en cours d’emploi, il perd son droit au travail ? Doit-il alors être considéré comme fautif ? Son employeur se trouve-t-il autorisé à le licencier potentiellement pour faute grave ? C’est à cette question que la Cour de cassation est venue répondre il y a de cela quelques jours. Cass.soc. 23.11.22, n° 21-12.125, publié au Bulletin.   

Salarié exemplaire et faute grave : un oxymore ? Pas si sûr… Dans l’affaire ici commentée, c’est précisément à cette improbable association qu’un salarié s’est trouvé confronté. Alors, que s’est-il vraiment passé ?

Nous sommes en 2012. Un salarié qui exerce en qualité de veilleur de nuit au profit d’une société dénommée Saphif donne toute satisfaction. D’aucuns s’accordent pour affirmer qu’il s’agit d’un salarié sans histoire. Sans histoire ? Pas pour longtemps. Car (toute) une histoire, il va malgré-tout y en avoir une…

Faisons un petit bond dans le temps : situons-nous deux années plus tard… Du jour au lendemain, le salarié se trouve écarté de son lieu de travail, mis à pied à titre conservatoire, convoqué à un entretien préalable au licenciement et in fine licencié pour faute grave, sans indemnité de licenciement, ni préavis. Qu’a-t-il pu commettre de si répréhensible ? Eh bien… Dans l’entreprise : rien ! Absolument rien.

Levons le voile sur ce qui s’est réellement passé...

Car, disons-le, l'explication est à trouver ailleurs que dans l’entreprise… Ce qu’il faut ici savoir, c’est que ce salarié était un salarié étranger. Et que, comme tout salarié étranger, il lui appartenait de justifier auprès de son employeur de son droit à travailler en France. Or, en 2014, il avait manifestement perdu ce droit. Le constatant, son employeur a paniqué. Il a sans doute craint d’avoir lui aussi des problèmes… Il a donc voulu très rapidement éloigner de son entreprise ce salarié devenu irrégulier. Ce qui l’a conduit à considérer son incapacité à lui fournir le document administratif attendu comme fautif... et même comme hautement fautif puisqu’il a pris l’initiative de le licencier pour faute grave !

 

Contestation de la faute grave et demande en rappel de salaire

Le salarié n’a bien évidemment pas contesté la validité de la rupture de son contrat de travail. Ayant perdu son droit de travailler en France, il savait pertinemment qu’il s’exposait aux rigueurs de l’article L. 8251-1 du Code du travail, selon lequel « nul ne peut, directement ou indirectement, (…) conserver à son service (…) pour quelques durées que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ».

 

Un salarié qui perd son droit de travailler risque-t-il immédiatement de perdre son emploi ? 
Non ! Le salarié demeure couvert pendant les 3 mois qui suivent la date de fin de validité de son titre de séjour autorisant à travailler. Au cours de cette période, le salarié continue à jouir de ses droits sous couvert du titre expiré(1).

 

Ce que le salarié conteste ici, c’est la qualification de faute grave retenue par l’employeur et la mise à pied conservatoire qui a eu pour effet de le placer immédiatement, sans salaire et hors les murs de l’entreprise… pendant les quelques jours qu’a nécessités la mise en œuvre de la procédure de licenciement.

  

Des juges du fond qui s’arrêtent au milieu du gué…

La cour d’appel n’a pas été insensible aux arguments du salarié. Conformément à une jurisprudence à l’époque déjà bien établie (2), elle a considéré que, dans les circonstances propres à cette affaire, où il ne lui était reproché que son incapacité à faire état de son droit de travailler, son licenciement ne pouvait être « fondé sur une faute grave » mais qu’il reposait simplement « sur une cause objective tirée de sa situation irrégulière ».

Problème : les juges du fond ont juste omis de tirer les conséquences de droit inhérentes à leur propre appréciation… Puisqu’ils ont aussi considéré que la mise à pied conservatoire, elle, se justifiait toujours (!) et que la rémunération que le salarié aurait dû toucher n’avait pas lieu de lui être versée…

Or, comme nous le savons tous, mise à pied conservatoire et perte de salaire ne sont susceptibles de rimer que si, in fine, « la sanction prononcée est un licenciement pour faute grave ou lourde »(3).

En formant son pourvoi en cassation, ce n’est donc rien d’autre que cette grossière erreur de droit commise par les juges du fond que le salarié souhaitait voir corrigée.

… et la Cour de cassation qui franchit complément la rivière !

Erreur grossière que les juges du droit se sont empressés de sanctionner… en rendant, comme il se doit, un arrêt de cassation.

Dans un premier temps, la Haute-juridiction approuve les juges du fond en ce qu’ils ont considéré que « l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l'application des dispositions relatives aux licenciements et de l'allocation de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Mais, dans un second temps, elle remet les pendules à l’heure en rappelant l’évidence. A savoir que « seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire durant cette période ». Ici la justice avait considéré que le salarié n’avait pas été licencié pour faute grave / lourde, mais bien pour une « cause objective ».

En conséquence de quoi, la mise à pied conservatoire ne se justifiait pas et l’employeur devait être condamné à payer au salarié le montant des rémunérations qu’il aurait dû toucher pendant tout le temps qu’elle a duré.   

Et en statuant comme ils l'avaient fait, les juges du fond avaient manifestement violé trois articles du Code du travail :

- l’article L. 1332-3, qui précise quelle est la nature de la mise à pied conservatoire ;

- l’article L. 8252-1, qui précise que « nul ne peut (…) conserver à son service (…) un étranger non muni d’un titre » l’autorisant à travailler ;

- l’article L. 8252-2 1°, qui précise que l’étranger a droit « au titre de la  période d'emploi illicite » au « paiement du salaire et des accessoires ».

 

Le salarié étranger qui a perdu son droit de travailler en France a-t-il droit au versement d’une indemnité lors de la rupture de son contrat de travail ?
Oui ! L’article L. 8252-2 du Code du travail précise qu’il a en principe droit « à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire ». Mais si les versements de l’indemnité de préavis et de licenciement s’il est en CDI, ou ceux de l’indemnité de précarité et de rupture anticipée s’il est en CDD, lui sont plus favorables, c’est alors à celles-ci qu’il a droit. A noter enfin que, le cas échéant, c’est à l'employeur qu'il reviendra de « prendre en charge tous les frais d'envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel le salarié est parti volontairement où a été reconduit »(4).

 

[1] Art. L.433-3 du Ceseda.

[2] Cass.soc., 03.04.19, n° 17-17.106.

[3] Cf. notamment Cass.soc. 26.11.87 : « seule une faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant une mise à pied conservatoire ».

[4] Art. L.8252-2 3° C.trav.