Preuve par vidéosurveillance : illicéité ne signifie pas nécessairement irrecevabilité !

Publié le 24/11/2021

Par un arrêt en date du 10 novembre 2021, la Cour de cassation vient rappeler qu’est illicite la preuve par enregistrement via une vidéosurveillance qui n’aurait pas été préalablement portée à la connaissance des salariés et sur laquelle le CE (aujourd’hui CSE) n’avait pas été consulté.

Elle ajoute néanmoins que l’illicéité de cette preuve n’emporte pas nécessairement son irrecevabilité... Cass.soc. 10.11.21, n°20-12.263

Rappel des faits et de la procédure

Dans cette affaire, la salariée, employée de caisse dans une pharmacie mahoraise, est licenciée pour faute grave, notamment pour avoir saisi une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus. Pour établir la matérialité des faits, l'employeur s'appuie sur les enregistrements vidéo de la pharmacie.

Considérant entre autres que la preuve des faits avait été obtenue illicitement, la salariée décide de saisir le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle avance plusieurs arguments pour faire la démonstration de cette illicéité.

  • L’employeur aurait dû consulter le comité d’entreprise de tout dispositif de contrôle de l’activité des salariés, ceci même si ce dispositif n’était pas destiné à opérer exclusivement ce contrôle. À défaut d’une telle consultation, la salariée en déduit que les preuves obtenues via ce dispositif sont illicites.
  • L’employeur doit porter à la connaissance des salariés le dispositif de contrôle préalablement à sa mise en œuvre, étant précisé par la salariée qu’en application de l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa version alors applicable, les salariés devaient être informés de l'identité du responsable du traitement des données ou de son représentant (1) notamment. Pour la salariée, la note de service, postérieure à la mise en place de la vidéosurveillance, signée par les salariés et ne contenant pas les informations prescrites par la loi, ne permettait pas de rendre les preuves obtenues licites.

Ces arguments sont balayés par la cour d’appel, qui décide que le mode de preuve est bien licite, contrairement à ce qu’avait tenté de démontrer la salariée !

  • Elle relève que la loi n’impose pas la consultation préalable du CE lorsqu’une vidéosurveillance est mise en place dans un lieu ouvert au public pour assurer la sécurité des biens et des personnes.
  • Elle retient que les salariés avaient été suffisamment informés quant à l’existence du dispositif de surveillance par une note de service signée par les salariés.

Un pourvoi est alors déposé par la salariée devant la Cour de cassation, qui a dû répondre à la question de savoir à quelles conditions un enregistrement par vidéosurveillance est licite et peut-être utilisé en justice.

 

Information des salariés et consultation du CSE : deux conditions à la licéité de l’enregistrement par vidéosurveillance

La Cour de cassation, au visa de l’article 32 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, dans sa version en vigueur au moment des faits, du Code du travail applicable à Mayotte et des articles 6 et 8 de la CEDH, rappelle deux grandes conditions que les employeurs se doivent de suivre lorsqu’ils mettent en place un système de vidéosurveillance dans l’entreprise.

  • « Les salariés doivent être informés, préalablement à la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel, de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l'existence d'un droit d'accès aux données les concernant, d'un droit de rectification et d'un droit d'opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d'exercice de ces droits. »
  • Le comité d’entreprise (aujourd’hui CSE) doit être « informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés».

 

Dans cette affaire, la Cour de cassation s’appuie sur le Code du travail applicable à Mayotte pour rappeler que l’employeur est tenu de consulter le CE. Le Code du travail contient une disposition identique à l’article L. 2312-38. 

La Haute Cour relève que la cour d’appel avait bien constaté que le système de vidéosurveillance, destiné à l’origine à assurer la protection des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise, permettait aussi de contrôler l’activité des salariés. Et qu’elle avait constaté que l’employeur avait utilisé ce système de vidéosurveillance pour « recueillir et exploiter des informations concernant personnellement la salariée ».

Face à de tels constats, la Cour de cassation en déduit que « l’employeur aurait dû informer les salariés et consulter le CE sur l’utilisation de ce dispositif » de vidéosurveillance à une fin de contrôle de l’activité. À défaut, elle décide que le moyen de preuve tiré des enregistrements est illicite.

Cette décision est in fine assez logique, en ce qu’elle s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence antérieure quant à la licéité de ce mode de preuve.

Mais dans cette affaire, la Cour de cassation ne s’en tient pas à la question de la licéité de la preuve : après avoir tranché cette première question, elle pose le débat sur celle de la recevabilité de la preuve obtenue illicitement.

Une preuve illicite, mais recevable sous conditions

La Cour de cassation profite en effet de cette affaire pour confirmer l’infléchissement récent de sa jurisprudence (2) en matière de recevabilité d’une preuve illicite et l’appliquer au cas particulier de la vidéosurveillance. 

Elle réaffirme en effet que lorsqu’un moyen de preuve est illicite, il ne doit pas automatiquement être rejeté des débats. Le juge du fond doit se poser la question de la recevabilité du moyen de preuve en appréciant « si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ». Pour cela, il doit mettre en balance le droit au respect de la vie personnelle et le droit à la preuve...

La Cour ajoute que le droit à la preuve « peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié » sous réserve que deux conditions soient réunies.

  1. Cette production doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;
  2. L’atteinte portée à la vie personnelle doit être strictement proportionnée au but poursuivi.

Et de conclure dans cette affaire que face à ce moyen de preuve illicite, il revenait au juge du fond d’examiner si les deux conditions susvisées étaient réunies pour admettre sa recevabilité.

Cette solution tend à se rapprocher du principe, bien connu en droit pénal, celui de la liberté de la preuve, charge au juge ensuite d’en apprécier la valeur probante après l’avoir soumis au débat contradictoire (3).  Si certains peuvent se réjouir de cette évolution, la preuve étant a priori facilitée, il est fondamental que les conseillers prud’hommes restent particulièrement exigeants quant à la réunion des deux conditions reprises ci-dessus afin de préserver cet équilibre entre droit à la preuve et respect de la vie personnelle.

Par ailleurs, cette jurisprudence ne doit pas être analysée par les employeurs comme une autorisation de s’affranchir des règles en matière de surveillance de l’activité des salariés et de la collecte de leurs  données personnelles.

 

(1) Mais aussi : « de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l'existence d'un droit d'accès aux données les concernant, d'un droit de rectification et d'un droit d'opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d'exercice de ces droits »

(2) Cass.soc. 25.11.20, n°17-19523

(3) Art.427 CPC : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction.

Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. ». Voir par ex : Cass.crim. 6.4.94, n°93-82717