Congés payés : ils comptent pour le calcul des heures supplémentaires, selon la CJUE

Publié le 22/03/2022

Dans une affaire allemande remontée jusqu’à eux, les juges européens considèrent que les heures de congés payés constituent du travail effectif et doivent par conséquent être prise en compte pour apprécier le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Cette importante décision aura un impact sur notre droit français, qui lui est contraire. CJUE, 13.01.2022, C-514/20

Une question préjudicielle sur le calcul des heures supplémentaires

Un salarié allemand a travaillé 127,75 heures en août 2017 et a pris des congés payés pour le reste du mois. Selon la convention collective applicable, les heures supplémentaires et la majoration en découlant ne s’apprécient qu’avec les heures effectivement travaillées. De ce fait l’employeur l’a rémunéré pour le mois d’août 2017 sans compter d’heures supplémentaires.

Mais pour le salarié, ses congés payés devaient être pris en compte pour apprécier le seuil d’heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires. Il a donc saisi la juridiction allemande afin d’obtenir le paiement d’une majoration pour 22,45 heures supplémentaires.

Le juge allemand forme alors une question préjudicielle devant le juge européen : il demande à la CJUE si des dispositions de droit interne (ici une convention collective) prévoyant que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires s’apprécie uniquement avec les heures effectivement travaillées, sans les congés payés, sont conformes au droit européen.

« L’article 31, paragraphe 2, de la [Charte] et l’article 7 de la directive [2003/88] s’opposent-ils à une disposition d’une convention collective qui, afin d’établir si un travailleur peut prétendre à des majorations pour heures supplémentaires et de calculer le nombre d’heures à retenir à cet effet, ne tient compte que des heures effectivement travaillées, en écartant les heures au cours desquelles le travailleur prend sa période minimale de congé annuel payé ? »

 

La réponse de la CJUE

La CJUE répond positivement. Elle estime que la convention collective est contraire au droit européen en se fondant sur sa propre jurisprudence. En effet, selon elle « les incitations à renoncer au repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent sont incompatibles avec les dispositions du droit au congé annuel payé ».

En l’espèce, elle constate que les dispositions de la convention collective sont susceptibles d’entraîner une baisse de rémunération du salarié. Ce dernier se voyait en effet privé de la majoration pour heures supplémentaires au cours du mois où il prenait des congés. La disposition conventionnelle litigieuse sur le décompte des heures supplémentaires l'a donc dissuadé d’exercer son droit au congé annuel payé.

La CJUE en conclut que le dispositif n’est pas compatible avec le droit au congé annuel payé visé par les textes européens(1). Elle considère que « l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies. ».

Un impact sur le droit français

Bien que concernant une disposition allemande, cet arrêt affecte le droit français. La Cour de cassation estime en effet de façon constante que les congés payés, en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles, ne constituent pas du temps de travail effectif(2).

Cette règle est similaire à la disposition allemande remis en cause par la CJUE. 

Selon l’article L. 3121-1 du Code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
L'article L. 3121-28 précise quant à lui que toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.


La non-conformité du droit français découle de l’interprétation que le juge fait du Code du travail et non pas des textes en eux-mêmes.

Attention : La directive européenne du 4 novembre 2003 évoquée précédemment ne peut être mobilisée dans un litige entre particulier, donc entre un salarié et un employeur(3). Cependant, le juge devra interpréter le droit du travail français de manière conforme aux normes européennes et aux décisions de la CJUE(4). Cet arrêt de la CJUE devrait fort logiquement le conduire à revoir sa jurisprudence !

Assimiler le temps de congés payés à du temps de travail effectif pourrait avoir des impacts sur la définition du temps partiel ou encore sur le calcul du forfait jour. En effet, cette solution ne pourrait-elle pas trouver à s'appliquer à toute répartition de la durée du travail (hebdomadaire, annuelle...) ? 

L'apport de cet arrêt est positif pour les salariés qui ne devrait plus se voir pénalisés par leur prise de congés payés. Reste encore à la Cour de cassation de faire évoluer sa juripsrudence pour que les salariés puissent invoquer sans difficutlé cette nouveauté !

Cette condamnation fait écho à de précédents arrêts où la CJUE met en cause le droit du travail français. Le juge européen se fait donc de plus en plus pressant envers la France !

 

 

(1) art. 7, paragraphe 1 de la directive 2003/88

(2) Cass. soc., 4 déc. 2012,  n° 10-10.701 et Cass. soc., 25 janv. 2017, n° 15-20.692

(3) Cass., soc. 13 mars 2013, n° 11-22.285

(4) Cass., soc., 15 sept. 2021, n° 20-16.010