Télétravail : la preuve du respect du temps de repos incombe toujours à l’employeur 

Publié le 21/02/2023

Les règles de la charge de la preuve en matière de respect des durées maximales de travail, de temps de repos et d’heures supplémentaires sont les mêmes que le salarié soit physiquement dans l’entreprise ou en télétravail.

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe donc à l'employeur.

Quant aux heures supplémentaires, la charge de la preuve reste aménagée entre le salarié et l’employeur. Cass.soc.14.12.22, n°21-18.139.

Un salarié en télétravail et travaillant non-stop…

Un salarié, surmené, s’est donné la mort sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail ! Ce dernier travaillait 3 jours par semaine sur site et 2 jours en télétravail.

Ses ayants droits ont décidé de saisir la juridiction prud'homale en vue de réclamer le paiement des heures supplémentaires non rémunérées et des dommages-intérêts pour violation du droit au repos.

S’agissant du respect du repos quotidien, la cour d’appel va certes reconnaître que le salarié travaillait « beaucoup », mais elle considère que les ayants droits ne démontrent pas que l’employeur a violé la législation en matière de droit au repos.

Pour les juges du fond, le salarié effectuait 2 jours en télétravail à son domicile et conservait ainsi une liberté d'organiser son temps de travail en fonction de ses déplacements.  Ils ajoutent que l'amplitude horaire entre le premier et le dernier mail envoyé par le salarié ne permettait pas d'affirmer que le salarié était en permanence à son poste de travail et qu'il ne bénéficiait pas normalement de ses repos quotidiens.

 

Selon l’article L.3131-1 du Code du travail, tout salarié bénéficie d'un repos quotidien d'une durée minimale de 11 heures consécutives entre deux journées de travail.

La durée hebdomadaire de travail est limitée.
E
n principe, le salarié ne peut pas travailler plus de 48 h sur une même semaine de travail.
Il n'est pas autorisé
non plus à travailler plus de 44 h sur une période quelconque de 12 semaines consécutives, sauf exceptions (1).

 

Quant aux heures de travail accomplies, la cour d’appel relève que les ayants droits ont effectivement produit de nombreux documents : un tableau de décompte des temps de travail du salarié de 2011 à 2014, le rapport de l'inspection du travail indiquant ses heures de début et de fin de travail sur quelques jours non consécutifs sur 2013 et 2014, des relevés de mails adressés par le salarié entre 2013 et 2014 et diverses attestations. Pour autant, pour la cour d’appel, ces documents sont insuffisants parce qu’ils ne contiennent pas d’éléments préalables suffisamment précis pour connaître les horaires du salarié. Selon elle, l’employeur ne peut donc y répondre.

En définitive, pour la cour d’appel, les ayants-droits du salarié n’apportant pas suffisamment d’éléments de preuve, qu’il s’agisse de l’existence d’heures de travail (et donc d’heures supplémentaires) ou du non-respect du droit au repos, elle les déboute de leurs demandes.

Les héritiers forment alors un pourvoi contre cette décision.

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : la charge de la preuve des heures de travail et des temps de repos d'un salarié en télétravail repose-t-elle exclusivement sur le salarié ? Ou bien faut-il suivre les mêmes règles que celles applicables lorsque le salarié travaille sur site ?

 

L’employeur doit toujours apporter la preuve du repos quotidien du salarié

La Cour de cassation rappelle le principe du droit au repos quotidien.  Elle rappelle ensuite la règle de droit commun issue du droit civil selon laquelle celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement, ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation (2).

Elle en déduit (et rappelle) que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne (3) et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur, et non au salarié. Et ce, y compris lorsque le salarié est en télétravail !

Elle considère que la cour d’appel, en exigeant que ce soit les ayants-droits qui démontrent que l’employeur n’avait pas respecté les temps de repos du salarié, a inversé la charge de la preuve. Il appartenait bien à l’employeur de prouver que le salarié n’était pas en permanence à son poste de travail et qu’il bénéficiait normalement de ses repos quotidiens.

 

La charge de la preuve des heures supplémentaires effectuées ne repose pas uniquement sur le salarié !

Pour la Cour de cassation, peu importe que le salarié soit en télétravail, une fois encore, les règles de la charge de la preuve ont été violées. La Cour de cassation rappelle l’obligation, pour l’employeur, d’établir des documents nécessaires au décompte de la durée du travail ainsi que l’existence d’un régime partagé de la preuve concernant les heures supplémentaire.

Selon l’article L. 3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme alors sa conviction, après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

 

La Haute Cour considère que les ayants droits présentaient bien des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre. A titre d’exemple, le seul rapport de l’inspection du travail mettait en avant le fait que le salarié travaillait systématiquement 56,25 heures par semaine et qu’il travaillait en moyenne 11 h15 par jour !

A l’inverse, l’employeur ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail. Pour la Cour de cassation, en faisant encore une fois peser sur le seul salarié (ses ayants-droits) la charge de la preuve des heures de travail accomplies, la cour d’appel a violé la règle d’aménagement de la charge de la preuve prévue par le Code du travail.

Certes, il est plus difficile pour l’employeur de contrôler la durée de travail de son salarié et le respect de son temps de repos lorsque celui-ci est en télétravail. A charge pour lui alors de mettre en place des outils de contrôle adaptés. Surtout, cette organisation du travail ne lui permet pas d’échapper à ses obligations et les règles relatives à la charge de la preuve restent les mêmes que lorsque le salarié travaille physiquement sur le site !

Si cette décision est logique et s’inscrit pleinement dans la jurisprudence de la Cour de cassation, elle est la bienvenue, en tant qu’elle permet de rappeler aux employeurs les obligations qui leur incombent en la matière. Rappel d’autant plus pertinent dans un contexte où le recours au télétravail se généralise rapidement et massivement...

 

(1) Art. L.3121-20 à L.3121-24 C.trav.

(2) Art. 1353 C.civ.

(3) Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 04.11.03.

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