Temps partiel : la preuve du respect de la priorité d'accès à un temps plein pèse sur l'employeur

Publié le 10/05/2023

Lorsqu’ils souhaitent augmenter leur durée du travail, les salariés à temps partiel sont prioritaires pour accéder aux emplois correspondant à leur catégorie professionnelle éventuellement disponibles au sein de leur entreprise. L’employeur a d’ailleurs l’obligation de porter à leur connaissance la liste de ces postes. Mais en cas de refus d’accéder à la demande du salarié, est-ce à l’employeur de prouver qu’il a bien respecté son obligation, ou bien au salarié de démontrer qu’il existait des postes à pourvoir ? C’est à cette question que la Cour de cassation est venue répondre et apporter quelques précisions. Cass soc.,13.04.23, n° 21-19742.

Les faits

Une salariée est embauchée en 2011 au sein d’un bowling en qualité d’hôtesse, caissière et barmaid. Elle est alors à temps partiel. Quelques années plus tard, désireuse de travailler plus, elle demande à son employeur de passer à temps plein. Face à son refus, la salariée saisit le conseil de prud’hommes. Elle reproche à son employeur de n'avoir pas respecté sa priorité d’embauche à temps plein.

La cour d’appel va débouter la salariée. Pourquoi ? Parce qu’elle considère que celle-ci ne justifie pas que des emplois à temps plein correspondant à sa catégorie professionnelle étaient à pourvoir. De son côté, l’employeur a simplement contesté avoir recruté des salariés à temps complet dans sa catégorie professionnelle pendant la période litigieuse.

Autrement dit, pour la cour d’appel, il appartenait à la salariée de prouver qu’il existait bien des emplois disponibles correspondant à sa demande.

La salariée conteste : comment le juge peut-il exiger d’elle qu’elle produise ces éléments alors même que ces éléments sont détenus par le seul employeur ?

Elle se pourvoit donc en cassation, la question étant de savoir sur qui pèse la charge de la preuve en matière de proposition d’un emploi à temps complet. Est-ce au salarié de prouver qu’il existe des postes correspondants disponibles (comme l’affirme la cour d’appel) ou bien à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a bien respecté son obligation ? 

Mais d’abord, en quoi consiste cette priorité d’emploi dont bénéficient les salariés à temps partiel ?

Les salariés qui travaillent à temps partiel et qui souhaitent augmenter leur durée du travail à une durée au moins égale à la durée minimale (c’est-à-dire 24 heures par semaine ou son équivalent), à la durée minimale prévue par accord collectif ou encore au niveau d’un plein temps, sont prioritaires par rapport aux autres salariés (sauf autres salariés prioritaires) pour l’attribution d’un emploi, qui se libère ou qui se crée, relevant de leur catégorie professionnelle ou équivalant à l’emploi occupé.

Si un accord de branche étendu le prévoit, l’emploi peut présenter des caractéristiques différentes (1).

Si un salarié est intéressé, il doit le faire savoir à son employeur. Aucun formalisme n’étant exigé, il peut le faire par tout moyen : demande orale, mail, écrit...(2). L’employeur doit alors porter à sa connaissance la liste des emplois disponibles correspondants.

Mais attention : il doit pour cela procéder à une diffusion spécifique des emplois susceptibles de correspondre à sa catégorie professionnelle ou équivalents et ne peut pas se contenter de diffuser sur l’intranet de l’entreprise la liste des postes disponibles (3) !

Dès lors que le salarié remplit les conditions, l’employeur est tenu d’accéder à sa demande sous peine de se voir condamné à lui verser des dommages et intérêts pour non-respect de cette priorité (4).

En cas de refus de l’employeur, comme c’est le cas dans notre affaire, qui doit prouver qu’il n’y a pas de poste correspondant à pourvoir ?

Une charge de la preuve qui pèse sur l’employeur !

La Cour de cassation est on ne peut plus claire : en jugeant ainsi, la cour d’appel a tout simplement inversé la charge de la preuve !

La Cour de cassation rappelle qu’ « en cas de litige, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation en établissant, soit qu’il a porté à la connaissance du salarié la liste des postes disponibles ressortissant de sa catégorie professionnelle ou d’un emploi équivalent, soit en justifiant de l’absence de tels postes ».

La Haute Cour fonde son argumentation sur 2 textes.

  • L’article L. 3123-8 ancien du Code du travail (devenu l’article L.3123-3), qui pose le principe de la priorité d’emploi et l’obligation pesant sur l’employeur : il doit porter à la connaissance des salariés intéressés la liste des emplois disponibles correspondants.
  • L’article 1315 ancien du Code civil (devenu l’article 1353), qui pose le principe de droit commun de la charge de la preuve en droit civil ayant vocation à s’appliquer ici : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

C’est donc bien à l’employeur, qui se prétend libéré de son obligation, d’en apporter la preuve et de justifier les raisons pour lesquelles il n’a pas pu accéder à la demande de la salariée.

Une solution pas inédite, mais qui apporte quelques précisions

Sur le fond, la solution n’est pas nouvelle, la jurisprudence ayant déjà admis qu’il appartenait à l’employeur de justifier les raisons pour lesquelles il n’avait pas pu accéder à la demande du salarié. Il doit par exemple démontrer qu’il existait d’autres salariés prioritaires sur les postes disponibles (5) ou encore, dans l’hypothèse où plusieurs salariés à temps partiel auraient fait une demande pour occuper un même emploi à temps complet, il doit, en cas de litige, communiquer au juge les éléments objectifs sur lesquels il s’est appuyé pour faire son choix (6).

En revanche, cette décision apporte des précisions sur la manière dont l’employeur peut rapporter cette preuve.

Concrètement, il doit :

  • soit établir qu’il a bien porté à la connaissance du salarié la liste des postes disponibles ressortissant de sa catégorie professionnelle ou d’un emploi équivalent ;
  • soit justifier l’absence de tels postes.

En tout état de cause, il ne peut donc, comme il l’a fait ici, se contenter de dire qu’il n’a pas embauché de salariés à temps plein sur des postes correspondants à la catégorie professionnelle sur la période où la salariée a demandé à faire jouer sa priorité d’emploi !

 

 

 

[1] Art. L.3123-3 C.trav. (ancien article L.3123-8 C.trav. cité dans l’arrêt).

[2] Cass.soc.02.06.10, n°09-41395.

[3] Cass.soc.20.04.05, n°03-41802.

[4] Cass.soc.29.03.95, n°091-45378.

[5] Cass.soc.25.05.16, n°14-19234.

[6] Cass.soc.07.07.98, n°95-43443.

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