CSE : représenter l’employeur et voter pour le CSE n’est plus incompatible

Publié le 17/01/2023

Depuis fort longtemps, la Cour de cassation considérait que les salariés représentants de l’employeur (en raison d’une délégation écrite particulière d'autorité leur permettant d'être assimilés au chef d'entreprise et/ou de leur rôle de représentant de l'employeur devant les institutions représentatives du personnel) ne pouvaient être ni électeurs aux élections CSE, ni candidats aux fonctions de représentant du personnel.

Mais cette position jurisprudentielle a fini par heurter le Conseil constitutionnel et à le conduire à abroger l’article L. 2413-18 du Code du travail qui l’avait fondée. En conséquence, le législateur a dû envisager sa réécriture. Article 8 de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi

Dommage collatéral. En matière d’élections professionnelles, l’article L. 2314-18 du Code du travail est un texte important, dans la mesure où il fixe les conditions devant être satisfaites par les salariés pour pouvoir voter aux élections CSE.

D’apparence anodine, il se contentait d’apporter des précisions on ne peut plus basiques : « sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l'entreprise et n'ayant fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ».  

Vraiment rien de bien tonitruant donc… Ni de très sensible non plus. Et pourtant, cela ne l’a pas empêché d’avoir à subir les foudres du Conseil constitutionnel !    

Souvenez-vous : c’était il y a un peu plus d’1 an, le 19 novembre 2021 très précisément. Ce jour-là, les Sages de la Rue Montpensier avaient décidé de statuer sur son inconstitutionnalité, non en raison du contenu de l’article, mais pour l’interprétation jurisprudentielle qu’il avait générée(1).

C’est en effet en l’interprétant que la Cour de cassation avait décidé qu’il n’y avait pas lieu de conférer aux salariés représentant l’employeur le droit de voter aux élections CSE, du simple fait… qu’ils représentaient l’employeur. Inacceptable pour le Conseil constitutionnel ! Car portant directement atteinte à la garantie figurant au 8è alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité et précise que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

Or « tout travailleur », pour le Conseil constitutionnel, cela doit aussi inclure ceux qui sont mis en position de représentation de l’employeur !

N’étant pas maître de l’interprétation dont il pourrait faire l’objet, l’article L. 2314-18 du Code du travail n’avait donc pas grand-chose à se reprocher… Il n’en a pas moins été abrogé ! Innocente victime collatérale de la lecture qu’en avait fait les juges du droit…

Une abrogation. Mais une abrogation tout en douceur… puisque la décision du 19 octobre 2021 n’a finalement pris effet qu’au 31 octobre 2022, les Gardiens de la Constitution ayant sagement considéré que « l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de supprimer toute condition pour être électeur aux élections professionnelles » et qu’ « elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives ».

Une fois sa décision rendue, le Gouvernement disposait en conséquence d’une bonne année pour accoucher d’une nouvelle écriture…

L’élaboration d’une solution de fond

Le ministère du Travail a d’abord tenté de réécrire de l’article L. 2314-18 du Code du travail, mais sans parvenir à trouver une solution réellement efficiente.

- Dans la première version, que le ministère du Travail avait produite - et dont nous avions pris connaissance à l’occasion d’une consultation - seul l’article L. 2314-18 du Code du travail semblait devoir faire l’objet d’une réécriture. Ce qui n’était pas totalement illogique, puisque c’est lui qui s’était trouvé censuré. Réécriture ainsi orchestrée : « sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l'entreprise et n'ayant fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques. Les règles applicables à l’électorat sont distinctes de celles applicables à l’éligibilité ». Une façon de sous-entendre que les salariés représentants de l’employeur pouvaient voter au élections CSE sans possibilité d’y candidater !

Mais l’expression retenue n’était pas suffisamment précise et explicite pour être pouvoir être comprise de tous...

- Ainsi le ministère du Travail a-t-il changé son fusil d’épaule en modifiant un peu la rédaction de l’article L. 2314-18 du Code du travail abrogé et en modifiant beaucoup l’article suivant : le L. 2314-19 relatif non pas à l’électorat mais à l’éligibité.

Explication :

L’article L. 2314-18 du Code du travail s’exprime désormais ainsi : « sont électeurs l’ensemble des salariés âgés de 16 ans révolus, travaillant depuis 3 mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques ». Seule évolution notoire par rapport à l’ancienne mouture : la disparition de la référence aux « salariés des deux sexes », qui était pour le moins surannée, et le remplacement de la formule « les salariés » par « l’ensemble des salariés ».

L’article L. 2314-19 du Code du travail évolue encore plus significativement. En son premier alinéa, ce texte qui, jusqu’alors, se contentait d’indiquer que « sont éligibles les électeurs âgés de 18 ans révolus, et travaillant dans l’entreprise depuis un an au moins, à l’exception des conjoint, partenaire Pacs, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur » étend désormais la champ de l’exception aux « salariés qui disposent d’une délégation écrite d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le CSE ».  

En synthèse donc, la capacité de voter aux élections est désormais offerte à l’ensemble des salariés (sous-entendu : y compris ceux qui représentent l’employeur), tandis que la capacité d’y candidater -qui demeure expressément fermée aux salariés apparentés de trop près à l’employeur- se trouve désormais étendue… à ces mêmes salariés qui représentent l’employeur.

La jurisprudence de la Cour de cassation qui avait cours jusqu’alors est définitivement contrecarrée.    

 

Le choix d’un véhicule législatif où embarquer cette réécriture

C’est d’abord sur la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat que le ministère du Travail semblait avoir jeté son dévolu afin d’officialiser la réécriture des articles L. 2413-18 et L. 2314-19 du Code du travail. Cette loi ayant été finalement adoptée le 16 août, elle aurait été particulièrement bien adaptée en termes de timing. La mise en conformité avec les exigences constitutionnelles aurait en effet pu être opérée dans le délai imparti par le Conseil constitutionnel. Mais à l’orée de l’été, le Gouvernement ne semblait pas être encore tout à fait prêt à soumettre une écriture aboutie au suffrage des parlementaires.   

Ayant laissé passer ce véhicule législatif, il n’a pu que se rabattre sur un autre. Et cet autre, ce fut finalement la loi n° 2022-1598 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. Seul problème, ce texte n’a été adopté que le 21 décembre 2022, alors même qu’en application de la décision rendue le 19 octobre 2021 par le Conseil constitutionnel, l’article L. 2413-18 du Code du travail devait définitivement disparaître des écrans de contrôle au 1er novembre 2022…    

 

Quid de la période 1er novembre - 23 décembre 2022 ?

En a découlé une période de flottement au cours de laquelle plus aucun article définissant les conditions d’accès au vote aux élections CSE ne figurait plus au Code du travail ! Plus de condition d’âge ni d’ancienneté, plus d’obligation de ne pas avoir fait l’objet d’interdiction, de déchéance ou d’incapacité relative aux droits civiques…

Aussi, afin de parer à cette difficulté et de parvenir à combler cet éphémère vide juridique, la loi du 21 décembre 2022 a-t-elle pris le parti de rendre applicable la nouvelle écriture de l’article L. 2314-18 du Code du travail au 31 octobre 2022, régularisant ainsi rétroactivement la période 1er novembre - 23 décembre 2022(2).

Via ce mécanisme législatif, les conditions visées à l’article L. 2314-18 du Code du travail n’auront donc jamais cessé d’être actives… et tant les protocoles d’accord préélectoraux conclus que les élections organisées dans la période de se trouver après coup sécurisés.

 

Un droit de vote : pour quoi faire ?

Constitutionnellement parlant, cette extension de la capacité de voter aux élections CSE aux salariés représentant l’employeur trouve parfaitement à s’expliquer, puisque bien que représentants de l’employeur, ces salariés n’en sont pas moins… des salariés.

La position de la Cour de cassation qui avait cours jusqu’alors et qui ne leur donnait pas la possibilité de voter pouvait toutefois paraître plus pragmatique. Car faire accéder ces salariés à l’électorat n’est pas dénué d’ambigüité ni de dangerosité.

-D’ambigüité d’abord, puisque s’ils peuvent voter sans pouvoir candidater, leur participation à l’élection ne pourra  que les amener à voter pour des salariés auprès desquels ils jouent un rôle d’employeur et qui peuvent très bien être placés sous leur responsabilité hiérarchique directe. Ce qui n’est pas sans poser la question du sens du droit de vote qui leur est désormais accordé…  

-De dangerosité ensuite, car ouvrir le chemin des urnes à des salariés qui occupent, par exemple, des fonctions de directeurs dans des petites unités de travail pourrait très bien conduire à des jeux d’influence visant à inciter les autres salariés à voter pour des « candidats maison ».

A nous, militants CFDT, de nous montrer attentifs quant à l’ensemble des conséquences qu’est susceptible d’induire une telle évolution du droit !

 

 

(1) Cf. actu publiée sur le site CFDT le 24.11.21 : « CSE : l’interdiction de voter des salariés représentant l’employeur n’est pas conforme à la Constitution ».

(2) Art. 8 III de la loi n° 2022-1598 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi : « III – Le I est applicable à compter du 31 octobre 2022 ».