Droit d’alerte du CSE : le temps passé en réunion s'impute sur le crédit d’heures de délégation

Publié le 04/01/2023

Le temps passé en réunion par les membres du CSE en cas d’exercice de leur droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes n’est pas assimilé à du temps de travail effectif. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a jugé que ce temps s’imputait sur leur crédit d’heures de délégation, même lorsqu’il s’agissait d’une réunion organisée par l’employeur. Cass.soc. 9 novembre 2022, n°21-16.230.

Une réunion avec l’employeur dans le cadre du droit d’alerte du CSE

Dans cette affaire, 8 membres élus au CSE d’établissement avaient informé l’employeur de leur intention d’exercer leur droit d’alerte, en raison d’une discrimination ayant lieu dans l’entreprise à l’encontre d’une femme enceinte.

Lorsqu'un membre du CSE constate qu'il existe dans l'entreprise une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles (harcèlement, discrimination…), il doit saisir immédiatement l'employeur.

Dans ce cas, l’employeur doit procéder sans délai à une enquête avec le membre du CSE et prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation.

Si l'employeur ne prend aucune mesure ou en cas de divergence sur cette atteinte, le membre du CSE doit saisir le conseil de prud'hommes (après avoir averti le salarié concerné, qui peut s’y opposer).(1)

Dans le cadre de cette procédure, les élus ont été conviés par l’employeur à une réunion à laquelle deux d’entre eux ont assisté. Celui-ci les a informés qu’il payerait les 2 heures passées en réunion en les imputant sur leur crédit d’heures de délégation, ce qu’ont refusé les élus.

Bien que l’arrêt ne soit pas clair sur ce point, il semble que l’employeur n’ait tout simplement pas rémunéré ces heures, considérant que « lorsqu'un représentant du personnel refuse qu'un temps non-travaillé soit rémunéré au titre de ses heures de délégation, l'employeur ne peut lui imposer un tel paiement, ce qui reviendrait à décider à la place de l'intéressé de l'usage du crédit d'heures qui lui est alloué pour exercer ses fonctions de représentant du personnel ».

Les élus ont donc saisi le conseil de prud’hommes en vue de condamner la société à leur verser la rémunération afférente, estimant que le temps passé à cette réunion devait être rémunéré comme du temps de travail effectif sans être déduit des heures de délégation.

Le Code du travail prévoit que certains temps passés en réunion ou en lien avec des évènements liés à la santé et sécurité sont payés comme temps de travail effectif et n’ont pas à être déduits des heures de délégation. Il s’agit en particulier du temps passé :
- à la recherche de mesures préventives dans toute situation d'urgence et de gravité, notamment lors de la mise en œuvre de la procédure de danger grave et imminent prévue à l'article L. 4132-2 ;
- aux réunions du comité et de ses commissions dans la limite d'une durée globale fixée par accord d'entreprise ou à défaut par décret ;
- aux enquêtes menées après un accident du travail grave ou des incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave.(2)

Infirmant le jugement de première instance, la cour d’appel a fait droit à leurs demandes. D’une part, elle a retenu que la réunion avait été organisée par l’employeur. D’autre part, elle a considéré que l’atteinte aux droits des personnes constituait une situation d’urgence et de gravité, « de sorte que des mesures préventives aient pu être prises ».

Aussi, en a-t-elle déduit que le temps passé à cette réunion par les élus du CSE constituait du temps de travail effectif et ne pouvait pas être déduit de leur temps de délégation.

C’est ainsi que l’employeur a formé un pourvoi en cassation. La Haute juridiction était appelée à trancher la question suivante : le temps passé en réunion avec l'employeur à la suite du déclenchement par les membres du CSE de leur droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes est-il ou non imputable sur leur crédit d’heures ?

 

Le temps passé à cette réunion est déduit du crédit d’heures de délégation !

La Cour de cassation donne raison à l’employeur, qui arguait, dans son pourvoi, que le temps lié à l'exercice du droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes n’était pas visé par l'article L. 2315-11 du Code du travail et devait en conséquence être déduit des heures de délégation. Elle casse ainsi l’arrêt d’appel.

Selon elle, la réunion « avait été organisée par l’employeur à la demande des membres [du CSE] ayant exercé leur droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes, ce dont il résultait que le temps passé à ladite réunion devait être déduit de leur crédit d'heures de délégation ».

Aussi, pour chambre sociale, c’est parce que cette réunion a été organisée dans le cadre du droit d’alerte que le temps qui y a été consacré par les représentants du personnel devait être imputé sur le crédit d’heures. Ce faisant, la Cour fait une lecture stricte de l’article L. 2315-11 du Code du travail.

À notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation fait une telle précision... Elle avait déjà jugé que les heures passées par un délégué du personnel à l’action intentée devant de conseil de prud’hommes en raison de l’inaction de l’employeur à la suite de l’exercice de son droit d’alerte devaient s’imputer sur ses heures de délégation (3).

Dans la présente affaire, la solution était moins évidente, et la position prise par la chambre sociale plus surprenante !

En effet, il s’agit là non pas d’une action en justice, mais d’une réunion entre l’employeur et les membres du CSE. De surcroît, même si cette réunion s'est tenue dans le cadre de l’exercice d'un droit d’alerte du CSE, c’était bel et bien l’employeur qui en était à l’origine !

Enfin, selon nous, cette situation aurait pu s’inscrire dans celles visées par l’article L.2315-11 du Code du travail, sinon comme une réunion du comité, à tout le moins comme un temps dédié à recherche de mesures préventives dans une situation d'urgence et de gravité.

Il nous semble qu’il y a là un manque dans les textes, malheureusement préjudiciable aux représentants du personnel...


(1) Art. L.2312-59 et L. 2312-5 C.trav.

(2) Art. L.2315-11 C.trav.

(3) Cass.soc. 26.05.99, n° 97-40.966