PAP : les négociations doivent être loyales !

Publié le 06/09/2022

La Cour de cassation vient de rappeler l’exigence de loyauté dans les négociations du protocole d’accord préélectoral (PAP). Elle ajoute qu’à défaut, en cas d’échec des négociations, le Dreets ne pourra pas décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux. À l’heure où bon nombre de CSE sont en passe d’être renouvelés, cet arrêt pourra à l’évidence être utile aux équipes CFDT !

Cass.soc. 12.07.22, n°21-11.420, publié au Bulletin.

Bref rappel des règles

Lors des élections des représentants du personnel, plusieurs étapes sont incontournables. Parmi celles-ci, la négociation du PAP.  

En amont des élections professionnelles, l’employeur doit en effet inviter les organisations syndicales (OS) à négocier un PAP (1). L’accord doit obligatoirement contenir certaines dispositions, comme celle relative à « la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux » (2). Lorsque la négociation échoue sur ce point, c’est l'autorité administrative, la Dreets, qui décide de cette répartition (3).

Petit retour sur l’affaire : une négociation du PAP aux allures de faux-semblants...

Dans la perspective des élections professionnelles, les sociétés composant l’UES Akka ont engagé  la négociation du Pap avec plusieurs organisations syndicales. À la suite de plusieurs réunions de négociation et faute d’accord sur la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux, l’employeur décide finalement de demander à l’autorité administrative de procéder à cette répartition.

Autorité qui lui oppose un refus provisoire : selon elle, tant qu’il n’y a pas eu de négociation loyale et sérieuse, elle n’est pas compétente ! Car si plusieurs séances de négociation avaient bien eu lieu dans cette affaire, les OS présentes n’avaient pas eu les éléments indispensables à la négociation à leur disposition. Elles n'avaient donc pas été mises en position de négocier...

Les sociétés composant l’UES décident alors de saisir le tribunal judiciaire afin que :

  • la décision du Direccte (4) soit annulée,
  • il fixe la fameuse répartition, ou à défaut enjoigne au Direccte de procéder à celle-ci.

À nouveau, la demande a été rejetée. Les sociétés ont alors saisi la Cour de cassation du litige.

Arguments avancés par l’employeur 

Selon lui, dès lors qu’une OS a répondu à l’invitation à négocier l’accord prévoyant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux, et qu’aucun accord n’a pu être conclu, l’autorité administrative doit décider de cette répartition en application de l’article L.2314-13 du Code du travail. Il considère que c’était bien le cas, puisque plusieurs réunions de négociation avaient eu lieu sans qu’aucun accord n’ait pu être trouvé. 

Il ajoute ensuite que le Direccte aurait violé l’article L. 2314-13 du Code du travail en refusant de procéder à cette répartition pour manquement de l’employeur à son obligation de loyauté dans la négociation du Pap et en renvoyant les parties à la négociation.

C’est à la question suivante que la Cour de cassation a donc dû répondre : le Dreets, saisi d’une demande de répartition suite à l’échec des négociations, se doit-il d’y répondre dès lors que des négociations ont eu lieu, ou bien doit-il s’assurer au préalable que ces négociations ont bien été loyales ?

 

Négociation loyale du Pap = une condition à la saisine du Dreets

Après avoir rappelé le contenu de l’article L. 2314-13 alinéas 1 et 3 du Code du travail, la Cour de cassation pose le principe selon lequel « ce n'est que lorsque, à l'issue d'une tentative loyale de négociation, un accord préélectoral n'a pu être conclu que l'autorité administrative peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux ».

En d’autres termes, il n’est pas suffisant qu’une négociation ait eu lieu. Encore faut-il que celle-ci ait été loyale. Ce n’est qu’à cette condition que le Dreets pourra, à défaut d’accord sur la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux procéder lui-même à ces répartitions.

Qu’est-ce qu’une négociation loyale ?

La Cour de cassation n’apporte pas de définition à la notion de loyauté des négociations du PAP. Néanmoins, elle procède à un contrôle des éléments de faits retenus par les juges du fond pour considérer que les négociations n’avaient pas été loyales. Éléments qu’elle valide en bloc, et qui permettent de mieux cerner la notion.

 

Il s’agit des éléments suivants :

  • l’employeur n’avait pas communiqué certains éléments déterminants tels que les effectifs par site et la classification professionnelle des salariés et ceci malgré les diverses demandes des OS ;
  • il a actualisé certaines informations essentielles seulement l’avant-veille de la dernière réunion de négociation ;
  • la question de la répartition du personnel n’a été abordée que lors de la dernière réunion de négociation au cours de laquelle les OS se sont vu refuser un accès aux registres uniques du personnel autrement que par entités et sur le site de chacune d’entre elles au motif que le fichier des effectifs déjà communiqué était suffisant ;
  • il a été mis fin de manière unilatérale à la négociation lors de cette même réunion, l’employeur expliquant que cette réunion devait être la dernière et demandant aux OS de se positionner sur le projet d’accord communiqué l’avant-veille, alors que les OS n’avaient pas été mises en mesure de contrôler les effectifs.

La Cour de cassation avait déjà posé cette exigence de loyauté dans un arrêt 9 octobre 2019, n°19-10780, en décidant que « l'employeur est tenu de mener loyalement les négociations d'un accord préélectoral notamment en mettant à disposition des organisations participant à la négociation les éléments d'information indispensables à celle-ci ». Et en déduisait que le PAP et les élections qui avaient suivi étaient nuls.

Par cet arrêt de juillet 2022, elle vient compléter les conséquences de l’absence de négociation loyale du PAP, et précise :

  • les éléments que l’employeur doit communiquer aux OS,
  • la conduite qu’il doit tenir pendant la négociation.

Une décision bienvenue et utile aux négociateurs CFDT

Cette décision apparaît logique : à défaut de négociation loyale, il semble que l’on puisse considérer que la négociation n’a pas réellement eu lieu. Et par conséquent que l’employeur ne puisse considérer qu’elle a échoué.

De même, elle va dans le bon sens, puisqu’elle consacre l’importance de la négociation du PAP qui ne peut être une simple formalité pour les employeurs ! 

Ils se doivent en effet de placer les OS dans les meilleures conditions pour mener cette négociation, en particulier en leur communiquant tous les éléments nécessaires, et ce suffisamment en amont des négociations.

Les équipes CFDT confrontées à des employeurs récalcitrants à leur communiquer des éléments d’information indispensables à la négociation du PAP pourront désormais s’appuyer sur cette jurisprudence.

Comme l’avaient fait les OS dans l’affaire commentée, dans de telles situations, il faut aussi avoir le réflexe de réclamer les documents par écrit, et ne pas hésiter à le faire tant que les éléments ne sont pas communiqués. Cela pourrait être très utile en cas de contentieux !

 

(1) Art. L.2314-5 C.trav.

(2) Art. L.2314-13 C.trav.

(3) Art. L.2314-13 C.trav.

(4) Devenu le Dreets depuis le 1er avril 2021.