Retour

AT/MP : La rente d’incapacité majorée n’indemnise pas le déficit fonctionnel permanent

Publié le 11/10/2023

Confirmant ses jurisprudences d’Assemblée plénière du 20 janvier dernier, la Cour de cassation persiste et signe : la rente d’incapacité n’indemnise pas le déficit fonctionnel permanent de la victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle (AT/MP). Concrètement, les victimes et leurs ayants droit peuvent obtenir réparation de leur préjudice au titre des souffrances physiques et morales endurées. La pérennité de cette jurisprudence est sévèrement remise en cause par le projet de loi de financement de la sécurité sociale en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Cass.2civ. 28.09.23, n°21-25690 F-B

Rappel : l’évolution de la jurisprudence en cas de faute inexcusable

En matière de réparation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur, la Cour de cassation affiche une position constante depuis 2010, date à laquelle le Conseil constitutionnel a ouvert la voie à la réparation intégrale de l’ensemble des dommages non couverts par le Code de la sécurité sociale (1).

La preuve de la faute inexcusable, notion issue du Code de la sécurité sociale, a été facilitée depuis les arrêts « amiante » en 2002. Elle se définit depuis 2020 comme : « Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » (Cass.2civ.8.10.20, n°18-26.677).

Depuis cette date, la Cour de cassation plaide dans chacun de ses rapports annuels pour une réparation intégrale des préjudices. En ce sens le revirement de jurisprudence de janvier 2023, que nous avons analysé dans un article précédent, est dans la logique de cette évolution annoncée de longue date s'agissant du préjudice spécifique des souffrances physiques et morales.

La Haute Cour va même dans son dernier rapport annuel 2022 jusqu’à proposer au législateur une nouvelle rédaction de l’article L452-3 du Code de la sécurité sociale pour inscrire dans notre droit positif la réparation intégrale du préjudice en cas de faute inexcusable.

Un ayant droit obtient la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

Dans cette affaire, une salariée embauchée en tant que piqueuse jusqu’en 1991 obtient la reconnaissance de son cancer broncho-pulmonaire provoqué par les poussières d’amiante en tant que maladie professionnelle (tableau n°30 bis).

La maladie s’est déclarée alors que la salariée était déjà en retraite, ce qui est très courant pour cette affection (le tableau n°30 bis prévoit un délai de prise en charge de 40 ans). Elle décède des suites de la maladie. Son ayant droit saisit alors la juridiction pour faire reconnaitre la faute inexcusable de l’employeur. La cour d’appel fait droit à cette reconnaissance, majore la rente d’incapacité et accorde des indemnités au titre des souffrances physiques et morales causées par la maladie.

L’employeur se pourvoit en cassation. Il estime que comme la salariée était à la retraite depuis de nombreuses années, la rente n’avait pas pour objet de compenser la perte de salaire et l’incidence professionnelle de la maladie et réparait donc nécessairement le déficit fonctionnel permanent de la victime.

La Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante :

Pour un salarié à la retraite, la rente d’incapacité répare t’elle nécessairement le préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent ?

La Cour de cassation garde le même cap

Assez logiquement la Cour de cassation réaffirme la solution de janvier dernier l’ayant conduit à faire évoluer la définition de la rente d’incapacité : désormais la rente ou l’indemnité en capital ne répare plus le déficit fonctionnel permanent.

Quand bien même la salariée était déjà en retraite, la Cour de cassation approuve le versement d’indemnités par la Cour d’appel :

  • pour les souffrances morales en ce que la victime était consciente de sa perte totale d’autonomie jusqu’à son décès prématuré dont elle redoutait la survenue ;
  • et au titre des souffrances physiques caractérisées par les soins particulièrement douloureux (chimios, hospitalisations…) et les conséquences de la maladie sur son état de santé général.

La Cour de cassation vient par ailleurs de refuser de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire portant sur la conformité de l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale au principe constitutionnel d’égalité devant la loi estimant que son propre revirement de jurisprudence n’entrainait pas un changement de circonstances qui justifierait un nouvel examen (Cass.soc.5.10.23, n°23-1450).

Une jurisprudence en sursis ?

Le projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS), actuellement en débat au Parlement, entend revenir sur ce revirement de jurisprudence au prétexte d’une transposition de l’ANI « branche AT/MP » du 15 mai 2023. Ce faisant le PLFSS excède la portée de l’ANI qui a souhaité améliorer la réparation forfaitaire des victimes en intégrant le déficit fonctionnel permanent sans remettre en cause la réparation intégrale en cas de faute inexcusable de l’employeur. 

 

(1) Décision n° 2010-8, QPC, du 18 juin 2010

TÉLÉCHARGEMENT DE FICHIERS