Retour

Congés payés et arrêt maladie : notre droit enfin conforme au droit de l'UE !

Publié le 04/10/2023

Voilà maintenant plus de 10 ans que notre législation relative aux congés payés contrevient aux dispositions de l’Union européenne. Les multiples alertes émises par la Cour de cassation depuis 2013, invitant le législateur à modifier les dispositions du Code du travail étant restées vaines, la Haute Cour vient de décider de faire cette mise en conformité avec le droit de l’UE ! (Cass.soc.13.09.23, n°22-17340 à 342, n°22-17638, n°22-10529)

Le droit à l’acquisition de congés payés des salariés en arrêt maladie 

Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation, la question posée est celle de savoir si un salarié en arrêt maladie non professionnelle acquiert ou non des droits à congés payés (Cass.soc.13.09.23, n°22-17340 à 342).

Il y a en effet sur ce point une contradiction entre notre droit français et le droit de l’Union européenne.

  • Que prévoit notre droit ?

A moins qu’un accord collectif ne prévoie de dispositions plus favorables, les salariés n’acquièrent pas de congés payés lorsqu’ils sont en arrêt pour maladie non professionnelle.

Ce principe découle de l’article L.3141-3 du Code du travail, qui pose la règle de l’acquisition des congés payés : les salariés acquièrent 2,5 jours par mois de travail effectif chez le même employeur, et de l’article L.3141-5, qui assouplit cette règle en assimilant expressément certaines périodes non travaillées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des CP, mais qui ne fait pas référence aux périodes d’arrêt maladie non professionnelle. Jusqu'alors, la jurisprudence de la Cour de cassation allait également en ce sens (1). Cette règle n’est pourtant pas conforme au droit de l’Union européenne.

  • Que prévoit le droit de l’Union européenne ?

Les travailleurs absents pour une cause de maladie doivent bénéficier de congés payés. En effet, pour la CJUE, si les droits à congé peuvent être déterminés au regard des périodes de travail effectif, les périodes d’incapacité de travail qui sont imprévisibles et indépendantes de la volonté des travailleurs doivent également être prises en compte(2).

Ce principe repose notamment sur l’article 7§1 de la Directive « temps de travail » de 2003(3) et sur l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne(4). 

Pourquoi une telle contradiction entre le droit français et le droit de l’UE ?
Tout simplement parce que la France n’a pas pris le soin de transposer complètement l’article 7 de la directive de 2003 dans son droit interne. Et bien que notre droit offre 5 semaines de congés payés annuels (contrairement au droit de l’UE qui n’en prévoit que 4), il ne garantit pas ces 5 semaines lorsque le salarié est involontairement absent pour cause de maladie. L’Etat français a d’ailleurs déjà fait l’objet de condamnations en vue de réparer le préjudice subi par les salariés du fait de cette non-transposition(5).

  • Une mise en conformité quant au droit à l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie…

Malgré les dispositions limpides du Code du travail, la Cour de cassation va opérer un revirement de jurisprudence et juger que les salariés dont le contrat de travail est suspendu par un arrêt maladie non professionnelle peuvent prétendre à leurs droits à congés payés au titre de cette période(6).

  • … Qui dépasse les exigences du droit de l’UE

Car si la directive temps de travail garantit aux travailleurs un congé annuel payé d’au moins 4 semaines, la Cour de cassation va plus loin, puisqu’elle considère que le salarié malade peut prétendre non seulement à l’intégralité de ses droits à congés payés (7)), mais également aux congés payés éventuellement prévus par une convention collective.

Le droit à l’acquisition des CP sans limite de durée pour les salariés en arrêt pour maladie ou accident professionnel 

Dans cette autre affaire, la question posée à la Cour de cassation est celle de savoir si un salarié en arrêt de travail consécutif à un accident du travail ou à une maladie professionnelle acquiert des congés payés au-delà d’un d’arrêt d’1 an ininterrompu (Cass.soc.13.09.23, n°22-17638).

Car là encore, une contradiction existe entre notre droit et celui de l’UE.

  • Que prévoit notre droit ?

Un salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle acquiert des congés payés mais dans la limite d’un arrêt de travail d’une durée ininterrompue d’un an. Ce qui signifie qu’au-delà d’1 an d'arrêt de travail, le salarié cesse d’acquérir des CP(8). Cette règle n’est pas conforme au droit de l’Union européenne.

  • Que prévoit le droit de l’Union européenne ?

Un salarié acquiert des congés payés sans aucune limite temporelle et ce, quelle que soit l’origine de son accident ou de sa maladie. Il acquiert donc des CP durant toute la durée de son arrêt de travail et non pas seulement sur une période d’une année comme le prévoit le droit français.  

  • Une mise en conformité quant au droit à congés payés intégral en cas d’AT/MP

Sur le même fondement que l’arrêt précédent, la Cour de cassation opére un revirement de jurisprudence et décide d’écarter partiellement les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’UE. Elle juge ainsi qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, le salarié bénéficie de ses droits à congés payés durant toute la durée de son arrêt.

La prescription du droit à congés ne court que si l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ce droit 

Dans l’affaire suivante, la question porte sur le point de départ de l’action en paiement de l'indemnité de congé payé (Cass.soc.13.09.23, n°22-10529).

  • Que prévoit notre droit ?

S’agissant du délai pour agir en justice, le paiement des indemnités de congés payés étant soumis aux règles applicables au paiement des salaires, la prescription de ces actions en paiement est de 3 ans(9). La jurisprudence considère que le délai de 3 ans débute à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris(10). Autrement dit, lorsque la période de prise des congés prend fin, le délai de prescription de 3 ans commence à courir. Le droit de l’Union européenne est pourtant plus exigeant (avec l’employeur)...

  • Que prévoit le droit de l’Union européenne ?

Le délai de 3 ans ne commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né qu'à la condition que l’employeur ait mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit(11). La CJUE refuse en effet que l’employeur puisse invoquer sa propre défaillance (c’est à-dire le fait de ne pas avoir mis le salarié en mesure de prendre ses congés) pour en tirer bénéfice et opposer au salarié la prescription de son action. Un salarié ne peut pas donc pas perdre son droit à congé payé annuel à la fin d’une période de référence si l’employeur ne l’a pas mis en mesure d’exercer ce droit en temps utile.  

  • Une mise en conformité quant au délai de prescription de l’indemnité de congé payé

Là encore, la Cour de cassation décide de faire évoluer sa jurisprudence afin de la conformer au droit de l’UE. Elle juge que le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne commence à courir à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les CP auraient pu être pris que si l’employeur justifie avoir pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé. Tant que ces diligences n’ont pas été accomplies par l'employeur, le délai de prescription ne peut pas débuter et ce, quelle que soit la période à laquelle remontent les droits.

La Cour de cassation rappelle par ailleurs que c’est bien à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (plus concrètement il s’agit par exemple d’informer le salarié sur la période de prise des congés et l’ordre des départs en congés)(12). Ainsi, dés lors que l’employeur souhaitera opposer au salarié la prescription de son action en paiement de l’indemnité de congé payé, il devra démontrer avoir satisfait à ses obligations et il appartient au juge du fond de vérifier que l’employeur a bien justifié les avoir accomplies.

Quelle est la portée de ces arrêts ? 

Des décisions inévitables. Face aux nombreuses contradictions existantes entre notre droit national et celui de l’Union européenne, et sous la pression croissante de la jurisprudence de la CJUE, ces décisions étaient inévitables. Ce n’est pourtant pas faute pour la Cour de cassation d’avoir alerté et prévenu le législateur(13), sans compter les condamnations de l’Etat Français pour non-transposition (totale) de la directive de 2003… Bref, les dispositions du Code du travail n’étant pas conformes au droit de l’Union européenne, elles devaient être modifiées….

Un impact majeur. L’impact de ces arrêts sur les entreprises et les salariés, notamment le fait de reconnaître l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie quelles que soient sa durée ou son origine, est d’autant plus important que ces décisions découlent précisément d’une jurisprudence de la Cour de cassation. Car contrairement à la loi, qui ne dispose que pour l’avenir(14), la jurisprudence est nécessairement rétroactive : le juge explique la manière dont une loi déjà en vigueur doit être interprétée.  

De plus, le champ d’application de ces décisions est très large. D’abord parce qu’il porte sur les 5 semaines de congés payés et les congés conventionnels (et non les seules 4 semaines garanties par le droit de l’UE). Mais aussi parce que la décision relative au délai de prescription va permettre aux salariés de remonter loin dans le temps. En effet, désormais, pour pouvoir opposer au salarié la prescription de son action en justice, l’employeur devra justifier avoir, en temps utile, mis le salarié en mesure d’exercer ses droits à congés. Ce qui signifie que, dans l’absolu, un salarié pourrait réclamer tous les congés payés qu’il a acquis durant ses arrêts maladie et ce, depuis le début de sa relation de travail.

La seule limite qui pourrait éventuellement être invoquée est celle du 1er décembre 2009 qui correspond à la date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, Traité qui a donné une force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur laquelle se fonde la Cour de cassation pour appliquer directement le droit de l’UE à des particuliers.

En revanche, si l’employeur parvient à démontrer qu’il a permis au salarié de prendre des congés et que le salarié a refusé de les prendre, ce dernier ne pourra prétendre à aucun congé. Reste à voir comment le juge va appréhender la manière dont l’employeur a ou non respecté ses obligations en la matière. La Cour de cassation n’ayant pas pris le soin de préciser la nature des diligences susceptibles d’être démontrées par l’employeur pour invoquer la prescription.

Un impact très relativement limité. Parce qu’un certain nombre de conventions collectives assimilent déjà, mais souvent sous conditions, les arrêts de travail pour maladie à du temps de travail effectif. Et parce qu’avec la règle des équivalences prévues à l’article L.3141-4 du Code du travail, un salarié absent durant 4 semaines ou 20 jours au cours de la période de référence, peut néanmoins bénéficier de la totalité de ses congés payés(15).

Et maintenant ? Plus que jamais, la pression pèse sur le législateur... Reste maintenant à savoir quand et comment les pouvoirs publics vont se saisir de ces jurisprudences.

En attendant, la CFDT ne peut que saluer les décisions tant attendues qui ont été rendues, décisions qui vont permettre d’assurer l’effectivité des droits à congés payés des travailleurs. Il est essentiel que les salariés ne soient pas pénalisés par ces périodes d’incapacité de travail imprévisibles et indépendantes de leur volonté. Est-il nécessaire de rappeler que la finalité du droit au congé est de permettre aux travailleurs de se reposer et de bénéficier d’une période de détente et de loisir. Ce qui est loin d’être le cas lorsque les salariés sont en arrêt maladie…

Si toutes les entreprises vont être concernées par ce revirement de jurisprudence, nous ne pouvons que conseiller de notre côté aux représentants du personnel de se rapprocher de l'employeur afin d'envisager, via le dialogue social, la manière de faire face à cette situation qui encore une fois, était prévisible depuis plusieurs années. 

Pour finir, si certaines règles issues du droit français ont enfin été mises en conformité avec le droit de l'UE, d’autres y contreviennent toujours. C’est notamment le cas lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses congés payés puisque notre jurisprudence considère que dans cette hypothèse, et sauf dispositions conventionnelles plus favorables, le salarié ne peut pas exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n’a pu réellement bénéficier du fait de sa maladie(16). Ce qui est contraire à la jurisprudence de la CJUE…(17).

 

 

(1) Cass.soc.14.03.01, n°99-41568 ; Cass.soc.13.03.13, n°11-22285.

(2) CJUE, 06.11.18, Stadt Wuppertal c/Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Brobonn, C-570/16).

(3) Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4.11.03 concernant certains aménagements du temps de travail (art.7§1 : « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins 4 semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. »).

(4)Charte des droits fondamentaux de l’UE, art 31§2 : « lequel tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

(5) TA Clermont-Ferrand, 1ère ch., 06.04.16, n°1500608 ; CAA Versailles, 17.07.23, n22VE00442.

(6) Pour cela, elle se fonde sur l’article L.31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Il se trouve en effet, qu’en 2018, la CJUE a reconnu que ce texte pouvait être invoqué directement par un salarié dans un litige l’opposant à son employeur privé et que le juge national devait laisser inappliquée une règlementation nationale qui n’y serait pas conforme (CJUE, 06.11.18, Bauer, C-569/16 et C-570/16).

(7) L’article L. 1132-1 du Code du travail interdit toute mesure discriminatoire à l’encontre des salariés, et notamment celles liées à l’état de santé de celui-ci discrimination.

(8) Art. L.3141-5, 5° C.trav.

(9) Art. D.3141-7 et L.3245-1 C.trav.

(10) Cass.soc.14.11.13, n°12-17409 ; Cass.soc.29.03.17, n°15-22057.

(11) CJUE, 22.09.22, LB c/TO, C-120/21 ; CJUE, 06.11.18, Stadt Wuppertal c/Bauer, C-596/16 et Willmeroth c/Brobon, C-570/16 ;

(12) Cass.soc.13.06.12, n°11-10929 ; Cass.soc.21.09.17, n°16-18898.

(13) Cass.soc.15.09.21, n°20-16010 ; Cass.soc.02.03.22, n°20-22214.

(14) La loi n’est pas rétroactive et entre en vigueur le lendemain du jour où elle a été publiée au JO (art.2 C.Civ.).

(15) Art. L.3141-4 C.trav. : « Sont assimilées à un mois de travail effectif pour la détermination de la durée du congé les périodes équivalentes à quatre semaines ou vingt-quatre jours de travail ».

(16) Cass.soc.04.12.96, n°93-44907 ; Cass.soc.13.0391, n°87-41918.

(17) CJUE, 5è ch., 21.06.12, aff. C-78/11, ANGED c/FASGA.